Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Tocqueville, que ce n’est point le despotisme, mais la liberté, qui a besoin de religion ; avant que ce noble écrivain nous eût donné son tableau de la démocratie en Amérique, bien des idées libérales étaient lettre close pour les esprits les plus libéraux. Sismondi fut un des premiers à concevoir ces nouveaux principes bien vaguement encore, bien imparfaitement ; cela seul a suffi pour dérouter ses amis et le faire accuser de méthodisme.

Étrange méthodiste qui n’a qu’une haine dans le cœur, la haine de l’intolérance ! On lit dans son journal ces graves paroles, datées de 1835 : « Je sens désormais les traces profondes de l’âge, je sais que je suis un vieillard, je sais que je n’ai plus longtemps à vivre, et cette idée ne me trouble point. Ma confiance dans la parfaite bonté de Dieu comme en sa justice s’affermit tous les jours. Je deviens plus religieux, mais c’est d’une religion toute à moi, c’est d’une religion qui prend le christianisme tel que les hommes l’ont perfectionné et le perfectionnent encore, non tel que l’esprit sacerdotal l’a transmis. Son autorité est dans la raison et l’amour. Plus j’avance et plus je sens de répugnance pour l’esprit sacerdotal… Cette année de ma vie me l’a montré hostile à la raison et à la charité chez les méthodistes, chez les calvinistes, chez les anglicans. Nous avons été nourris de haines religieuses. N’est-ce pas une honte qu’il faille mettre ces deux mots ensemble ? » Voilà le christianisme de Sismondi, christianisme assez semblable à celui de Channing, de Théodore Parker, de tous ces vaillans apôtres qui se sont donné la mission d’associer la morale évangélique avec les généreux principes de la société, moderne, ces principes n’étant qu’un produit de la semence divine contenue dans l’Évangile. Que ce christianisme soit jugé imparfait, insuffisant, c’est le droit de la controverse, et je ne cacherai pas que tel est mon avis ; il est manifeste cependant qu’il y a là un immense progrès moral chez un homme issu de l’esprit du XVIIIe siècle, et que ce progrès eût été plus décisif encore, si les défenseurs ou les représentais de la religion n’avaient pas offusqué maintes fois la pure lumière à laquelle aspirait cette belle âme.

Quand il rencontre des natures aimantes, dans quelque communion que ce soit, il est heureux de les pouvoir aimer. Qu’importe la différence des dogmes ? il est de la religion du dévouement et du cœur. La sainteté, dont il a mal parlé naguère, lui apparaîtra toute rayonnante chez certains catholiques italiens, martyrs de la foi politique consolés par la foi religieuse. Il comprendra la beauté d’une église qui produit des vertus si fortes et si douces, il portera envie à ceux qui peuvent y soumettre leur raison, comme on porte envie à l’imagination du poète, à l’enthousiasme du héros. Envier les choses sublimes, n’est-ce pas les égaler ? Sismondi, le grave, l’austère