Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/914

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec de grands éventails de plumes de paon. On déjeunait, et fort bien ! Il était près de trois heures. Nous repartons à quatre heures pour Washington. Nos chevaux ont l’air de vouloir marcher ; mais au second kilomètre le cocher descend de son siège et nous assure d’un ton lamentable que nos bêtes ne peuvent aller plus loin. Il dételle et va chercher à Mount-Vernon les mules que Mme Tracy avait offertes.

Du fond des forêts silencieuses, un miaulement singulier se fait entendre. Est-ce un couguar ou un alligator en bas âge ? C’est tout bonnement un petit chat jaune qui sort du fourré en faisant le gros dos et en arrondissant la queue. Il est suivi d’une toute petite négresse de quatre ans, vêtue d’une longue chemise de coton ; un vieux nègre demi-nu, coiffé d’un chapeau de paille sans fond, la bouche ouverte, l’air abruti, ferme la marche. Ces trois personnages s’arrêtent devant les voitures, et nous regardent avec méfiance ; puis, sans dire un mot, sans répondre à nos questions, l’étrange groupe continue son chemin à travers la forêt, le chat miaulant, l’enfant riant, le vieux se traînant.

Les mules arrivées et attelées, nous repartons, conduits par le cocher nègre de Mount-Vernon. Le nôtre, qui craint les esclavagistes du sud, ne veut pas rester en arrière : il enfourche un des chevaux, tire l’autre par le licou et nous suit le plus près possible. Dix minutes plus loin, homme et cheval roulent dans la poussière. Le nègre se relève avec le plus grand flegme, met la bride du mort au vivant qui lui reste, et court après nous comme il peut.

À Alexandrie, on trouve des chevaux de poste, on traverse le Long-Bridge après avoir été arrêté six fois par les sentinelles. Au moment d’arriver à Washington, un nouveau cheval s’abat ; nous laissons là nègres, voiture, chevaux crevés ou fourbus, et nous rentrons à la légation à neuf heures du soir. Plusieurs personnes nous attendaient avec inquiétude. Elles nous supposaient attaqués, arrêtés, prisonniers, pendus, que sais-je ? Elles sont fort étonnées quand nous leur disons n’avoir pas vu le bout du nez d’un rebelle. À Washington, on ne sait pas où est l’ennemi. Il est peut-être parti !

7 août. — Visite à M. Osten-Sacken, attaché à l’ambassade de Russie. C’est un savant très distingué. Il fait de grands travaux entomologiques sur les cynips des États-Unis. Tu sais que les cynips sont de petits hyménoptères qui, en piquant, au moyen d’une longue tarière, les tiges, écorces, feuilles ou racines des plantes, produisent ces excroissances que l’on voit aux rosiers, aux chênes, etc. Certaines espèces produisent ce qu’on appelle la noix de galle, d’autres les truffes, etc. M. Osten-Sacken me montre une collection de tous ces insectes, dont il me raconte les mœurs et les diverses métamorphoses très curieuses. Ce soir, grand dîner chez lord Lyons, ministre