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assis en rond, chantent en chœur des psaumes sous les grands arbres ; des tentes, des fourgons, des fusils en faisceaux, des sentinelles, des estafettes, des rondes d’officiers, des soldats qui se promènent ou préparent la pot-bouille. Tout se fait sans rire, sans gaîté ; pas de chansons joyeuses ou de propos badins comme dans nos camps. Une belle habitation appartenant à un sécessioniste est devenue le quartier-général ; de longues files de chevaux attachés aux arbres du parc broutent les corbeilles de fleurs, un troupeau de bœufs se vautre stupidement dans les pièces d’eau en attendant qu’on l’égorge pour les besoins de l’armée ; les gazons sont foulés par les roues de l’artillerie, les allées de sable défoncées et couvertes de débris de toute sorte et de feuilles de journaux déchirées.

Nous trouvons là le général Mac-Dowell qui, avec beaucoup de simplicité et de clarté, en très bon français, raconte au prince, cartes et plans sous les yeux, les opérations et péripéties de la bataille du 21 juillet. Tu la trouveras tout au long dans les journaux ; mais ce qu’il y a de positif, c’est que dans cette bataille, comparée par le bourgeois américain à celle de Solferino, l’armée du nord a eu en tout quatre cent soixante-huit hommes tués et quinze cents blessés. Réjouissons-nous pour la bonne cause du peu de ressemblance de cet échec avec celui que l’Autriche a subi à Solferino.

Ce soir, dîner et soirée chez le ministre de France à Georgetown. Les lucioles nous ont donné un feu d’artifice sur la pelouse. Il fait aussi chaud qu’à la gueule d’un four, et les moustiques du Nouveau-Monde adorent la peau des Européens.

5 août. — Jusqu’à l’heure du dîner, liberté de manœuvre, comme on disait à bord, c’est-à-dire que chacun va où bon lui semble. Il me semble bon, à moi, d’aller me délecter dans les arbres, les plantes, les oiseaux et les insectes. Je fais d’abord un croquis à Georgetown, et puis me voici sous les grands arbres : des chênes à feuilles dentées comme celles des platanes, des noyers à feuilles d’acacia dont je mange les noix vertes, bien meilleures que les nôtres et différentes de forme ; des micocouliers de plusieurs espèces, tulipiers, frênes, érables, sumacs, sassafras, magnolias à fleurs jaunâtres, acacias hérissés de longues épines, cèdres et conifères très variés. En fait de fleurs, des phlox, des lis martagon, des hibiscus, des phitolacca (raisins d’Amérique) ornés de grosses grappes violettes, des ænothères, des armoises en fleur autour desquelles volent et planent, comme des oiseaux de proie, de beaux papillons jaunes marbrés de noir (pap. Troïlus) larges comme des assiettes, d’autres noirs à reflets bleus ou tout brillantes d’argent (l’argynne Idalia) ; mais, hélas ! pas de filet, pas d’engin pour attraper toutes ces jolies bêtes ailées ! J’enrage, je cours après quand même, et à coups de