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des fabriques spéciales d’instrumens en bronze, car on a découvert un élégant moule de haches à Morges et de véritables fonderies à Échallens, dans le canton de Vaud, et à Dovaine, près de Thonon. En outre une barre d’étain qu’on a retirée du milieu des pilotis d’Estavayer prouve que le bronze n’était pas importé de l’étranger à l’état d’alliage. Les populations de l’Helvétie savaient se procurer les métaux bruts, et ces vallées des Alpes, qui déjà, pendant l’âge de la pierre, avaient été un centre de commerce, d’un côté avec la Baltique, de l’autre avec la Méditerranée, échangeaient maintenant leurs produits avec les îles Cassitérides. L’agriculture se développait en même temps que le commerce, et c’est probablement aux progrès accomplis dans la production des denrées alimentaires que la population dut son accroissement considérable. L’élève des animaux domestiques augmentait également en importance, et la race des chevaux, à peine représentée pendant l’âge de la pierre, s’était multipliée.

Les progrès des peuplades lacustres ne paraissent pas avoir modifié profondément leur religion. Après l’invasion des Celtes, les prêtres, fidèles aux usages antiques, repoussèrent le métal importé par les peuples profanes, et continuèrent à se servir d’instrumens de pierre comme dans l’âge primitif. Les blocs erratiques ne cessèrent d’être de véritables autels, ainsi que le témoignent les nombreux objets apportés des bourgades voisines habitées seulement pendant l’âge du bronze : parmi ces blocs vénérés, on cite la pierre de Cour située dans le lac Léman, au-dessous de Lausanne, les pierres à Niton qui forment des îlots à une petite distance de Genève, et non loin d’Estavayer, dans le lac de Neuchâtel, la pierre au Mariage, sur laquelle, jusque dans le siècle dernier, les fiancés allaient se jurer fidélité réciproque. Si la religion des lacustres ne changea point pendant l’âge de bronze, il est probable néanmoins que leur zèle diminua graduellement par suite de leurs relations toujours croissantes avec leurs voisins les Celtes. Les tombelles qu’ils élevèrent pendant la deuxième période sont beaucoup moins hautes que celles du premier âge, et leurs morts n’ont pas la position repliée de l’embryon dans le sein de sa mère ; ils sont simplement assis ou même étendus sur le sol. Au moins les lacustres n’adoptèrent-ils jamais l’usage d’incinérer les cadavres, que leurs voisins les Celtes avaient importé d’Orient, et qui, dans leurs idées religieuses, devait leur apparaître comme un crime contre la mort elle-même.

La durée des bourgades lacustres de l’age du bronze fut très longue, à en juger par l’épaisseur des couches de débris et la grande différence d’usure qui existe entre les pilotis plantés à diverses époques