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et même 30 mètres de hauteur, semble prouver que les hommes de l’âge de la pierre avaient un profond respect pour leurs morts. Ceux-ci étaient déposés dans le caveau funéraire, les bras repliés en croissant sur la poitrine et les genoux ramenés sous le menton, comme pour témoigner par cette attitude, qui est celle de l’enfant avant sa naissance, que l’homme en mourant rentre dans le sein de la mère universelle. Récemment encore, quelques communes des vallées alpestres célébraient dans leurs rites funèbres une touchante cérémonie : lorsqu’une tombe venait de se refermer, les mères s’approchaient pour épancher une goutte de leur lait sur la terre fraîchement remuée. C’est peut-être à l’âge de la pierre qu’il faut attribuer l’origine de cet usage. En tout cas, aucun débris trouvé dans les tombelles de cette époque ne permet de supposer que les aborigènes de la Suisse aient jamais sacrifié de victimes humaines aux mânes de leurs morts. Ces rites féroces, que les Helvétiens de l’âge du fer célébrèrent plus tard, étaient complètement inconnus aux lacustres.

À quels siècles de l’histoire doit-on faire remonter cet âge de la pierre que nous révèlent les couches de débris archéologiques des lacs de la Suisse ? C’est là une des premières questions qui se présentent à l’esprit. M. Troyon a d’abord essayé de la résoudre en étudiant la formation de la tourbe sur les emplacemens des diverses bourgades lacustres. Par un ingénieux procédé qui rappelle celui du botaniste évaluant l’âge d’un arbre d’après le nombre des anneaux concentriques, il a tâché de fixer l’âge des amas de haches et de poteries étendus au fond des lacs en déterminant combien de siècles a demandés le dépôt des couches de tourbe superposées ; malheureusement la production de la tourbe s’opère avec plus ou moins de lenteur, suivant des lois qu’on ne connaît point encore, et M. Troyon a dû recourir à un autre mode d’évaluation que lui a fourni l’exploration des bourgades lacustres de la Suisse occidentale.

Sous les strates d’alluvions déposées par les torrens qui se jettent dans les lacs de Genève et de Neuchâtel, on a découvert plusieurs groupes de pilotis datant évidemment de l’âge de la pierre. Un ancien emplacement lacustre de cette époque se trouve près de Villeneuve, à plus de 450 mètres du rivage actuel du Léman. On a reconnu aussi des traces de bourgades du même âge sur divers points des couches alluviales du bassin neuchâtelois : aux embouchures de la Mantue et de la Reuse, au milieu des marais de la Thièle, et principalement dans la vallée marécageuse de l’Orbe, qui se prolonge au sud de la ville d’Yverdon. Pour connaître l’âge de ces pilotis ensevelis sous les dépôts d’alluvions, il suffit de mesurer la distance qui sépare la rive actuelle de la rive ancienne et de trouver entre ces deux lignes concentriques un point