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constructions primitives, c’est l’énormité du travail accompli par ces hommes qui n’avaient à leur disposition d’autres outils que des cailloux et les charbons de leurs foyers. Les tiges d’arbres, droites et élancées, croissaient en abondance dans la forêt ; mais, pour les abattre et les ébrancher, ils devaient se servir alternativement de la flamme et de pierres tranchantes ; puis, au moyen des mêmes procédés, ils devaient tailler en pointe l’extrémité de ces tiges, afin de les faire pénétrer facilement dans le sol, à une profondeur de plusieurs pieds. La coupe des troncs d’arbres qui servaient à former les esplanades, et qu’on fendait avec des coins de pierre pour obtenir des espèces de planches, demandait encore plus de travail que la préparation des pilotis. El quel temps, quelle peine ne fallait-il pas dépenser, quand il s’agissait de renverser un tronc de chêne long de 10 à 15 mètres, et de le transformer en un canot ! Certains villages, dont on voit encore les débris, reposaient sur plus de quarante mille pilotis. Sans doute ils étaient l’œuvre de plusieurs générations successives, mais ils n’en supposent pas moins pour chacune de ces générations un labeur incessant. En outre les lacustres (c’est le nom qui désigne aujourd’hui ces populations primitives) creusaient des fossés sur le rivage pour défendre leurs animaux domestiques contre les bêtes féroces ; ils élevaient des tombelles ou tumulus, et d’autres monumens religieux sur les hauteurs ; ils menaient de front la guerre, la chasse et la pêche ; ils cultivaient la terre, et, pour toutes ces diverses occupations, n’avaient à leur service que des instrumens d’os et de pierre. La fabrication et la réparation de ces instrumens demandaient aussi une patience inouïe, Car la pierre ne pouvait être taillée qu’avec la pierre, et l’on comprend à peine comment ces ouvriers infatigables donnaient le fini aux pointes et aux lames de silex. Ils s’attaquaient aux substances les plus dures et travaillaient jusqu’au cristal de roche.

« La hache, dit M. Troyon, a joué le plus grand rôle dans l’industrie primitive. » On la retrouve par centaines sur les emplacemens des anciens villages. Cette arme de chasse et de guerre servait aussi aux usages domestiques les plus divers, et probablement ne devait jamais quitter la main ou la ceinture de son propriétaire. Le tranchant des haches suisses, le plus souvent taillé dans un bloc de serpentine, est beaucoup plus petit que celui des haches employées en Scandinavie pendant l’âge de la pierre, et mesure en moyenne de 4 à 6 centimètres seulement. La manière d’emmancher ces pierres aiguës variait considérablement : les unes s’adaptaient, au moyen de ligatures ou de mortaises, à l’extrémité de branches recourbées ; d’autres étaient assujetties à des manches en