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les riverains du Phase, qu’imitent les pêcheurs établis aujourd’hui dans les limans du Volga, élevaient au milieu du fleuve leurs cabanes de joncs. Un passage très connu d’Hérodote nous apprend que les Paeoniens de la Thrace bâtissaient aussi leurs villages sur des pilotis enfoncés dans le sol des bas-fonds du lac Prasias. De nos jours encore, les Malais et les Chinois établis à Bangkok, et sur les côtes de Bornéo construisent leurs maisons sur des pieux plantés dans les eaux à quelque distance du rivage. Enfin, lorsque les Espagnols découvrirent la lagune de Maracaybo, ils y virent avec étonnement un village sur pilotis, petite Venise de bois à laquelle une des républiques de la Colombie doit aujourd’hui son nom de Venezuela[1].

Quand même toutes les constructions de cette espèce élevées en diverses parties de la terre ne serviraient pas de terme de comparaison, il serait facile, à l’aide des nombreux débris retrouvés au fond des lacs, de rebâtir par la pensée les cabanes lacustres de l’antique Helvétie. Un simple coup d’œil jeté à travers l’eau transparente permet d’apercevoir les pilotis rangés parallèlement ou bien plantés en désordre ; les poutres carbonisées qu’on aperçoit entre les pieux rappellent la plate-forme autrefois solidement établie à quelques pieds au-dessus des vagues ; les branchages entrelacés, les fragmens d’argile durcis par le feu appartenaient évidemment aux murs circulaires, et les toits coniques sont représentés par quelques couches de roseaux, de paille et d’écorce. Enfin les pierres du foyer sont tombées à pic au-dessous de l’endroit qu’elles occupaient jadis. Les vases d’argile, les amas de feuilles et de mousses qui servaient de couches de repos, les armes, les trophées de chasse, les grands bois de cerf et les têtes de taureaux sauvages qui ornaient les parois, tous ces objets divers entassés dans la vase ne sont autre chose que l’antique ameublement des cabanes. À côté des pilotis, on peut encore distinguer des restes de troncs d’arbres creusés qui servaient de canots, et une rangée de pieux indique l’ancienne existence d’un pont qui reliait à la terre ferme les esplanades des habitations lacustres. Non-seulement on peut savoir par le nombre des pilotis quelles dimensions avaient les plus grandes cités aquatiques, composées en général de deux ou trois cents cabanes, on peut même en certains cas mesurer le diamètre des huttes détruites depuis tant de siècles. Les fragmens de la couche d’argile qui les tapissait à l’intérieur offrent sur leur face convexe les marques

  1. Les crannoges de l’Irlande, dont quelques-unes étaient encore habitées en l’année 1610, différaient des bourgades lacustres de la Suisse ; elles étaient de vérités forteresses de bois bâties sur des flots artificiels.