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Nigritie. J’ai connu une jolie petite fille de huit ans, de race fertyt, comme l’attestaient ses dents limées en pointe, qui lui donnaient un air féroce, démenti par sa gentillesse et sa mine éveillée. Un peu inquiète de ma couleur, elle voulut savoir de son maître si je n’étais pas « comme les autres blancs du Franghistan, qui mangent les enfans nègres. » Le maître éclata de rire et lui demanda si les gens de sa tribu ne mangeaient pas leurs ennemis à la guerre. « Je ne sais pas, dit-elle ingénument. Les guerriers le font peut-être, car ils ont des festins de choix où les femmes ne vont pas ; mais cela ne doit pas être meilleur que le chien. J’ai mangé du chien ; ah ! c’est bien bon ! »

Dès 1820, les Égyptiens attaquèrent le massif de Taby, dans le Sennaar, et y furent battus de main de maître ; aussi n’y retournèrent-ils point. Plus tard, Méhémet-Ali ayant entassé à Lobeid des troupes destinées à la conquête du Darfour, et qu’un veto de la Porte retint l’arme au bras, on utilisa ces troupes contre le royaume de Tagali, formidable citadelle de soixante lieues de montagnes semées de bourgs, d’eaux et de belles pâtures. Les Tagalaouïa étaient encouragés par un faki de Zerega qui leur disait : « Les Turcs vont venir, mais ne vous inquiétez pas. Je ferai naître de larges rivières qui les empêcheront de passer. » Toutes les nuits, on voyait de loin des troupes de montagnards courir avec des torches allumées, priant Allah de faire un miracle. Kiritli-Pacha, qui commandait l’armée égyptienne, voulant mettre un terme au rôle que jouait le faki, se le fit amener. « Je sais, lui dit-il, que tu es l’ami des noirs ; tu peux leur rendre un service. Je ne leur fais la guerre que pour avoir leur or ; puisque tu te vantes d’en faire, tâche de m’en fabriquer l’équivalent du tribut que je leur demande, et je m’en retournerai. » Le faki, sans sourciller, se met en prière, fait quelques jongleries, et finit par laisser tomber de sa manche une petite pièce d’or de la valeur de 4 piastres (1 franc). « Ce n’est pas assez, dit le pacha. — Seigneur, dit l’indigène, je n’ai pas encore fait mes ablutions ; je ne suis pas en état de sainteté. — Qu’à cela ne tienne ; je vais te faire apporter de l’eau. » Le faki, poussé dans ses derniers retranchemens, essaie encore de payer d’audace ; il a oublié son livre à Lobeid… « C’est trop fort, dit le pacha. Coupez la tête à ce drôle. » Et la sentence fut exécutée.

Mari, roi de Tagali, pouvait résister derrière ses montagnes ; mais il fut trahi par son propre neveu, nommé Nacer, qui s’entendit avec Kiritli-Pacha, se déclara vassal du vice-roi, promit tout ce qu’on voulut, notamment un envoi annuel et considérable de jeunes négresses ; puis il se saisit de Mari, le livra aux Égyptiens, qui lui coupèrent la tête, et il fut proclamé roi à sa place. Le pacha laissa