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de sa déception, le réformateur chercha sa revanche dans une branche de revenus moins aléatoire, et malheureusement il la trouva. Il ordonna dans tout le sud la chasse aux esclaves.

Il y aurait une légèreté injuste à charger la mémoire du grand pacha de l’effroyable développement que ses conquêtes dans le Soudan ont imprimé à l’esclavage. C’eût été une entreprise insensée de sa part que de combattre dans une société musulmane l’institution la plus inhérente à l’islam. Ne voulant et ne pouvant la supprimer, il essaya de l’adoucir et de l’humaniser par une série de décrets restés à peu près sans exécution, mais qui doivent témoigner devant l’histoire des nobles tendances d’un vrai grand homme méconnu. Je ne veux pas prétendre que l’humanité soit entrée pour beaucoup dans ses préoccupations : comme la plupart de ces formidables pétrisseurs de nations qu’on appelle des réformateurs, il avait pour l’humanité un dédain trop justifié par ce triste et incurable peuple égyptien sur lequel il faisait ses terribles expériences. Néanmoins ce grand organisateur voyait avec raison dans l’esclavage un principe de dissolution sociale et une sorte d’ennemi personnel de son œuvre.

Nous venons de dire que l’esclavage est une base en quelque sorte essentielle de l’islamisme : nous ne voulons faire le procès d’aucune doctrine religieuse, et nous savons d’avance tout ce qu’on peut nous répondre sur la morale proprement dite de l’islam ; mais dans l’ordre des faits on a le droit de juger un culte par l’application qu’en ont faite en général les peuples qui l’ont adopté. Si l’esclavage n’est guère entré dans les institutions d’un peuple aussi vraiment moral que les Turcs et en a disparu aussi vite ; il s’est développé à l’aise chez les Arabes, dont la paresse dépravée s’en accommode on ne peut mieux. Il existe en Orient quelques populations laborieuses ; mais, dans les couches moyennes et inférieures des musulmans d’Égypte et de Nubie, le rêve d’un homme qui travaille est de gagner une quarantaine de talaris (200 francs) pour acheter un homme condamné à travailler à sa place. Quant à cette sorte de nostalgie qui saisit chez nous l’homme de labeur jeté par des chances heureuses dans une vie de loisir, il ne faut pas s’attendre à la trouver chez cet homme vêtu d’un simple caleçon de toile et d’une chemise bleue, qui n’aspire qu’à vivre comme un effendi, à demi couché sur son angareb (lit de camp), et à partager ses jours entre la pipe, le café et quelques voluptés bestiales.

Jusqu’en 1820, l’empire du Darfour et le Kordofan, qui en était une vice-royauté, avaient le privilège d’approvisionner l’Égypte d’esclaves. La route de Korosko n’ayant été trouvée que depuis une trentaine d’années, c’était par Syout et Dongolah que le nord recevait