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le traitement des magistrats a déjà été ici même l’objet des observations de l’écrivain le plus autorisé[1]. Nous savons bien qu’un pas a été fait à cet égard par la loi de finances de 1860 ; mais ce pas a été si timide qu’il n’a pas élevé l’ancien traitement au niveau des nouveaux besoins matériels de la vie. Si la magistrature, ainsi qu’on l’a dit, rend des arrêts et non des services, il est de la dignité d’un pays comme le nôtre d’honorer cette grande institution par le traitement même, d’élever ce traitement assez haut pour qu’il réponde à toutes les exigences de la famille, ce n’est pas en ceci que le bien public exige des économies ; il convient aussi de niveler les choquantes disproportions qui existent pour le chiffre des traitemens dans l’échelle de la hiérarchie, afin que le besoin de l’avancement ne puisse troubler la conscience du juge sur le siège d’aucun tribunal et ne lui inspiré jamais la pensée de le chercher ailleurs que dans son dévouement à l’œuvre sacrée de la justice. Le magistrat ne doit-il pas oublier que les momens lui sont comptés ? Une loi rigoureuse a désormais fixé la vie du juge : quelles que soient ses lumières et ses forces, à soixante-dix ans il est réputé impropre à ses fonctions ; le décret du 1er mars 1852 lui enlève son siège, et ne lui montre plus en perspective qu’une pension de retraite qui lui sera mesurée sur la durée de ses fonctions et le degré plus ou moins élevé qu’elles auront atteint dans la hiérarchie, à moins qu’il n’ait la rare faveur de voir s’ouvrir devant lui les majestueuses portes de la cour de cassation, où la capacité judiciaire a le privilège d’être présumée jusqu’à soixante-quinze ans pour la magistrature assise, et indéfiniment, comme partout ailleurs, pour les magistrats amovibles du parquet. À peine sorti d’une audience où il venait d’être replacé sur un siège de conseiller à la cour suprême, un premier président, parvenu à la limite d’âge, s’écria gaiement : « Hier encore j’étais au nombre des incapables, aujourd’hui j’ai retrouvé pour cinq ans les lumières et la raison. » Le gouvernement aurait pu répondre à la vérité qu’il n’use de son droit que quand bon lui semble. On a remarqué toutefois que le décret de 1852 n’ôte pas au magistrat ses fonctions à l’instant même où s’accomplit sa soixante-dixième asiate : celui-ci peut siéger tant qu’il n’est pas remplacé, dit formellement le décret, tant qu’il n’a pas eu officiellement connaissance de sa mise à la retraite, a dit à son tour la cour de cassation en allant plus loin ; mais jusqu’au remplacement ou jusqu’au jour où sa mise à la retraite lui est connue, le magistrat reste à bon droit sur son siège. Quelle est alors sa situation ? Il peut

  1. Voyez l’étude de M. Vivien sur les Fonctionnaires publics, Revue du 15 septembre et du 15 octobre 1845.