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se sont mêlées des attributions politiques qui ont peut-être altéré le caractère de cette magistrature primitive et toute de famille, chez laquelle on ne doit rien soupçonner de suspect ; mais c’est contre leur choix que s’élève le plus vivement M. Raymond Bordeaux. « La manie des places, dit-il, si tristement développée chez nous dans ces dernières années, le besoin d’une position pour tout individu déclassé, et surtout les considérations politiques ont fait asseoir sur le siège respectable des tribunaux de paix des magistrats peu considérés. Prenez un à un, dans tel département, les juges chargés de concilier les procès, de vider les différends les plus nombreux, d’interposer leur autorité dans les familles, et cherchez leur origine : presque tous seront, non pas des notabilités respectées dans la contrée, mais d’anciens greffiers, d’anciens notaires, d’anciens huissiers même. Tel notaire a-t-il été obligé d’abandonner une charge où il ne pouvait vivre, il sollicite aussitôt une justice de paix, et il l’obtient de préférence. Ici, le greffier qui hier vendait à l’encan les récoltes du canton s’assied aujourd’hui sur le tribunal au pied duquel il écrivait naguère ; plus loin, un ex-huissier juge le banquier campagnard qui le gratifiait de sa clientèle, et pour lequel il dénonçait des protêts ou pratiquait des saisies. » Si cette peinture est exacte, on voit la profondeur du mal et combien il importe de relever une fonction qui repose plus que toute autre encore sur l’estime publique. Aussi l’auteur du mémoire voudrait-il qu’on exigeât de tout candidat le grade de licencié en droit, qu’on lui imposât un examen. Il pense même que l’inamovibilité rendrait à ces magistrats l’indépendance qui leur manque, et que, s’ils étaient tenus de justifier de quelque propriété, ainsi que le faisait observer M. Dupin des 1814, ils auraient plus de consistance personnelle et plus d’ascendant sur la population.

Selon l’auteur du mémoire, le choix des magistrats d’un degré supérieur laisserait aussi beaucoup à désirer, et demanderait une prompte réforme. Il ne s’agit point de revenir à l’élection, mais de faire en sorte que le juge n’entre en fonction qu’après avoir acquis les connaissances qu’on est en droit d’exiger de lui. Les avocats sont soumis à un stage, les médecins à des épreuves qui témoignent de leur expérience et de leur savoir. Dans plusieurs états de l’Europe, il existe des institutions préparatoires pour la magistrature ; on en voit en Prusse, en Pologne, en Hollande, même en Autriche. Notre vieille magistrature avait trouvé le moyen de relever la fonction, que la vénalité des offices tendait à dégrader, par la sévérité des examens auxquels chaque candidat était soumis. Ces examens duraient plusieurs jours. Après avoir justifié du titre de licencié et de la fréquentation du barreau pendant trois ans, le candidat devait