Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/851

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esprits et les besoins changeans de la société. « Un tribunal permanent juge de la presse, s’écriait enfin Royer-Collard, perpétuellement battu par les flots irrités des partis, s’abîmera bientôt dans l’impuissance. Alors, messieurs, alors la chambre des pairs, décriée, avilie, frappée de mort politique, ne pourra plus revivre que par l’élection. La chambre des pairs élective, voilà, messieurs, la dernière et inévitable conséquence de la loi. » La connaissance, des délits de presse, attribuée au jury par la loi du 26 mai 1819, remise aux tribunaux correctionnels par celle du 25 mars 1822, rendue au jury en 1830, déférée de nouveau à ces tribunaux par les décrets de 1852, a été, comme on le voit, bien différemment envisagée selon les temps et les régimes.

L’assemblée constituante avait encore voulu que nos formes judiciaires fussent rapides ; elles ont sous ce rapport réalisé, il faut en convenir, un grand progrès sur les anciennes, dont la lenteur est demeurée proverbiale. Un procès dévorait autrefois une partie de l’existence et souvent aussi une partie de la fortune des plaideurs ; il passait aux enfans, aux neveux, et avant lui parfois s’éteignait la famille. Les formalités introduites dans la procédure pour sauvegarder les intérêts des particuliers avaient fini par en devenir le fléau. Aujourd’hui les plus longs procès ne dépassent pas quelques années ; les interminables enquêtes d’autrefois se font en quelques heures, tout au plus en quelques jours. Le travail de l’audience n’est pas moins prompt ; plus de longs discours, plus de phrases de convention ni de trop savantes recherches ; le débat est alerte, parce que chacun sait où doivent porter les coups : les passes d’armes sont interdites. Les temps sont donc changés. Le croirait-on ? l’on a pu craindre que l’œuvre de la justice ne s’accomplît désormais avec trop de précipitation. Il s’était introduit dans les habitudes judiciaires une promptitude d’examen qui pouvait nuire à la manifestation de la vérité, à la dignité même de la magistrature, et qu’on a bientôt signalée. D’où venait cette regrettable tendance ? D’une chose nouvelle, qui a son bon côté et ses dangers, la statistique administrative. Chaque année, les tribunaux ont à rendre compte du nombre des affaires jugées ; chaque année également, ce nombre est inscrit dans un rapport officiel où les chiffres sont pris en trop grande considération. De là de fâcheuses et injustes comparaisons. Aux yeux de la statistique, quel est le meilleur tribunal, le meilleur magistrat ? Celui qui juge le plus. La statistique ne demande pas en effet comment a fini le procès, mais s’il est fini. Son raisonnement aboutit à un chiffre, rien de plus. Heureusement la magistrature a résisté à ce fatal entraînement, qui déjà avait imprimé à la justice parisienne une célérité singulière. Nous blesserions la modestie des