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à perdre à la pluralité des juges. Notre institution n’est-elle pas plus libérale que l’institution anglaise sous un autre rapport ? Une loi de 1832 a permis au jury français de déclarer qu’il existe en faveur de l’accusé reconnu coupable des circonstances atténuantes, et sur cette déclaration la cour doit abaisser la peine d’un degré, elle peut l’abaisser de deux. Le verdict anglais est inflexible : gulty, coupable, ou not gulty, non coupable. Laissons-lui donc son impassibilité, sa stoïque rigueur, et ne craignons pas de proclamer aux yeux des nations voisines que nous avons fait un grand pas vers le progrès en matière pénale, c’est-à-dire vers l’humanité, le jour où nous avons laissé à notre magistrature populaire la liberté de mêler à sa réponse une pensée d’indulgence et de commisération.

En matière criminelle, il s’est fait en France un partage entre le jury et les tribunaux correctionnels, et depuis 1791 ces tribunaux ont constamment jugé les faits qui ne sont punis que de peines correctionnelles ; c’est-à-dire de l’amende et de la prison. Royer-Collard n’a pas craint de déclarer que dans notre organisation moderne la police correctionnelle était une juridiction d’exception. « L’exception ne dérive point, a-t-il dit, de la nature des choses, qui est évidemment la même dans le crime et dans le délit ; on convient qu’elle est uniquement fondée sur la différence des peines et la moindre gravité de celles qui s’appliquent au délit. La sûreté est moins protégée, parce qu’elle est moins compromise. L’exception, qui emporte la moindre protection, est donc une véritable imperfection qu’il faut avouer quand on confesse ou plutôt quand on professe le jury. Elle est excusable, je le sais ; mais elle a besoin de se faire excuser, parce qu’elle est une dérogation à la justice. » Ce partage entre le jury et les tribunaux correctionnels a cependant excité peu de réclamations. Si la justice correctionnelle s’exerce généralement avec une certaine rigueur, les peines qu’elle prononce ne sont point irréparables, et les erreurs qui ont pu lui échapper sont en bien petit nombre. En 1848 l’application du jury en cette matière a été rejetée à une assez grande majorité ; mais, il faut le dire, depuis quelques années la justice correctionnelle tend à sortir du cercle où elle a été renfermée et à se substituer aux cours d’assises. Ce qui peut surprendre dans un pays qu’on accusait naguère d’aimer à l’excès la légalité, c’est que ce déplacement de juridiction ne résulte d’aucune loi : l’usage s’est introduit dans les parquets d’écarter des faits poursuivis et réputés criminels les circonstances aggravantes et de les réduire aux conditions de simples délits sur lesquels il n’appartient plus alors au jury, mais au tribunal correctionnel, de statuer ; on appelle cela correctionnaliser les affaires. Est-ce un bien ou un mal ? Sans examiner en soi la mesure, qui pourrait suggérer plus d’une réflexion, il nous semble qu’il n’est jamais bon de façonner la