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d’assises dans le ressort de chaque cour d’appel. La juridiction des grandes cours qui siègent à Londres est ainsi maintenue en principe, et les affaires se jugent sur les lieux mêmes sans déplacement pour les parties et les jurés.

Le jugement du pays par le pays n’est point une fiction en Angleterre, et les jurés, quoiqu’ils aient à justifier de certaines conditions de fortune, sont bien les citoyens appelés à juger par le vœu de la population ; la liste en est formée avec un scrupule extrême. Ce sont d’abord des constables (churchwardens) qui la dressent dans chaque paroisse ; elle est affichée pendant vingt-quatre jours, et tous les citoyens ont le droit d’en demander la rectification. Les réclamations sont portées devant le juge de paix du comté et jugées dans une session spéciale où les constables sont appelés à rendre compte de leurs opérations. Lorsque toutes les observations ont été entendues, les listes sont arrêtées et remises pour chaque comté au shérif, et forment dans ses mains le livre des jurés (jurors book). Le shérif, qui a plusieurs des attributions de nos préfets, est nommé par la couronne ; mais ses fonctions sont essentiellement gratuites et ne peuvent durer plus d’une année : c’est à lui que le grand-juge, à son arrivée dans le comté, demande des jurés. Il en est dressé, selon les affaires, une liste de quarante-huit à soixante-douze sur le jurors book. Cette liste est présentée à l’accusé, qui peut la rejeter partiellement et même en entier, lorsqu’il y a lieu d’en suspecter la composition. Les douze jurés qui doivent connaître de l’affaire ne sont tirés au sort qu’après que le droit de récusation le plus large a été ainsi exercé par l’accusé. Tel est le petit jury ou jury de jugement ; il n’entre en fonction que lorsque le grand jury ou jury d’accusation, composé de vingt-trois membres pris parmi les principaux propriétaires du comté et les membres de la commission de paix, a statué après avoir entendu les plaignans et les témoins. Si l’accusation est admise, aussitôt le jury de jugement est saisi de la connaissance du fait, de telle sorte que la mise en accusation et le jugement se suivent. Le jury de jugement ne se décide pas précisément comme en France d’après sa conscience et son intime conviction ; il est tenu de se conformer aux règles traditionnelles qui sont indiquées comme étant pelles de l’évidence (rules of evidence), et que rappelle au besoin le président des assises. Le jury ne peut rendre son verdict qu’à l’unanimité, et lorsqu’il entre dans la chambre des délibérations, le greffier fait prêter serment à un officier de la cour de le garder sans feu, sans lumière, sans manger ni boire, jusqu’à ce qu’il ait prononcé. Fort heureusement cette vieille coutume n’est pas observée dans toute sa rigueur, et les jurés peuvent prendre quelque nourriture. Il s’était présenté des cas où des jurés, placés entre leur conscience et la faim, avaient poussé l’épreuve