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régulière. Il y avait longtemps que le pays était tranquillisé lorsque le code d’instruction criminelle fut discuté au conseil d’état. Le jury déplaisait à Napoléon ; il fut attaqué : on ne manqua pas de lui opposer les tribunaux spéciaux auxquels on avait dû recourir, et qui étaient assez du goût du chef de l’état. Ceci donna lieu à Napoléon de faire connaître ses vues en matière criminelle. « Aujourd’hui, dit-il, tout homme à qui sa fortune permet de payer un avocat, et qui a des jurés pour arbitres de son sort, est presque certain d’être absous. Tout système qui pose en principe que l’évidence seule doit déterminer les jugemens criminels est pure idéologie ; dans ces matières, on ne peut ordinairement se décider que d’après des probabilités. L’accusé aura toute la garantie qu’on peut raisonnablement désirer, si l’on donne aux juges l’influence nécessaire pour sauver l’innocent contre la fausse décision du jury. » En conséquence Napoléon concluait qu’il ne fallait pas d’avocats devant le jury. Il ne les menaçait pas encore de leur couper la langue, s’ils parlaient mal de son gouvernement[1]. Tout au plus, selon Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, pourrait-on en tolérer, « s’il plaisait au président du tribunal d’admettre cette exception. » C’était revenir à la cruelle ordonnance de 1670, qui bannissait la défense en matière criminelle. Qu’étaient devenues en si peu de temps les généreuses et humaines idées de 1789 sur la justice répressive ? Une énergique protestation de M. Bérenger, appuyée par les éminens juristes qui prenaient part à la discussion, fit évanouir cette singulière et peu libérale tentative. Quant à l’institution du jury, combattue par Portalis et Siméon, vivement défendue par Treilhard et Berlier, après avoir été restreinte au jury de jugement, elle fut conservée, mais en subissant de graves atteintes. Ainsi il fut permis à la cour de statuer à la place du jury, lorsque celui-ci ne se prononcerait qu’à la majorité simple de 7 voix contre 5. Cette disposition désarmait le jury, confondait deux juridictions distinctes, et, chose étrange, il était admis que la minorité de la cour réunie à la majorité simple des jurés suffisait pour entraîner la condamnation de l’accusé, c’est-à-dire que 9 voix contre 8 donnaient lieu à une condamnation que 7 voix contre 5 n’avaient pu déterminer. « Un article, dit plus tard à ce sujet Royer-Collard, qui, de peur de condamner à la majorité simple des jurés, condamne à la minorité des juges, offre le triste spectacle de la loi en démence ; par respect, il faut détourner les yeux. » L’article 351, qui portait cette atteinte à l’institution du jury, adouci en 1821, fut définitivement abrogé après 1830. D’un autre côté, c’est au gouvernement seul qu’avait été attribuée la confection de la liste des jurés. Aux administrateurs de département,

  1. Voyez notre étude sur le Barreau moderne, dans la Revue du 1er juillet 1861.