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dois lui conseiller le courage d’oublier, ou agir de manière à renouer des liens encore tendres en vue d’un mariage possible.

— Tout ceci est fort délicat, répondis-je, et je vous dois la vérité. La Florade est mon ami, non un ami ancien, mais, si je peux parler ainsi, un ami d’inclination. Il y aura donc peut-être un peu de trahison de ma part à vous dévoiler les dangers de son caractère ; mais il a tellement le courage de ses défauts et de ses qualités, que s’il était ici sommé par vous de s’expliquer, il vous dirait, j’en ai la certitude, tout ce que je vais vous en dire. C’est une nature séduisante et généreuse, mais sans frein. Il se livre tout entier à première vue, n’interroge rien, et se plaît en quelque sorte à braver toutes les conséquences de ses entraînemens… Certes il s’est beaucoup dominé en présence de Nama ; mais il n’est pas homme à jouer le calme qu’il ne sait pas imposer réellement à son imagination. Il a troublé la tête faible de cette fille par le trouble qu’il éprouvait lui-même. Elle a donc quelque motif pour s’abuser, sinon pour se plaindre.

— Alors me voilà fixée. Je ferai ce que Pasquali me conseille aussi : j’ôterai toute espérance à la pauvre créature. Pourtant… attendez ! Il me faut, avant de me charger de ce rôle cruel, que vous me disiez très sérieusement votre dernier mot. Vous me jurez qu’épris d’elle, peu ou beaucoup, la pitié, l’admiration pour sa beauté, l’estime qu’après tout la naïveté de son cœur et de son esprit mérite, ne le décideront jamais à en faire sa compagne ? Vous êtes bien sûr que mes représentations, ma conviction, mon éloquence de femme, si vous voulez, ne pourraient absolument rien sur lui ?

— Vous m’en demandez trop, répondis-je. Personne ne peut engager ainsi sa responsabilité pour un absent. Vous voulez voir La Florade, vous le verrez… Quel jour voulez-vous que je vous l’amène ?

La marquise sembla deviner mon désespoir. Elle me regarda attentivement, avec une sorte de surprise. Je soutins bravement son regard, je dois le dire, car elle reprit aussitôt avec la même liberté d’esprit qu’auparavant : — Amenez-le demain chez Pasquali. Je descendrai comme par hasard. Ne prévenez votre ami de rien ! Il s’armerait d’avance contre mes argumens. En le prenant au dépourvu, je verrai bien plus clairement si je dois espérer ou désespérer pour Nama.

Et maintenant, ajouta-t-elle, parlons de vous, docteur ! Est-ce que les charmans projets du baron ne vont pas modifier les vôtres ? Est-ce que vous ne prolongerez pas de quelques semaines votre séjour ici ?