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La marquise m’examinait aussi avec une attention extraordinaire. — Alors, dit-elle quand j’eus fini, vous ne m’approuveriez pas de fermer ma porte à votre ami, s’il venait me voir avec son parrain ou avec vous ?

Je ne pus surmonter un peu d’amertume. Je lui témoignai ma surprise d’avoir à examiner une question de prudence et de convenance avec une femme qui savait le monde mieux que moi. Je me récusai quant au conseil à donner, et j’ajoutai que je n’aurais probablement pas l’occasion d’accompagner La Florade chez elle, puisque je partais dans huit jours. Et comme ce sujet de conversation commençait à dépasser mes forces, je la priai de vouloir bien m’écouter sur un autre sujet plus intéressant peut-être pour elle et pour moi. Pasquali se levait par discrétion ; je le retins et présentai à la marquise la lettre du baron, après quoi, pendant qu’elle en prenait lecture, je suivis notre hôte au fond de son petit jardin.

— Quelle diable d’idée a-t-elle, me dit-il, de vouloir inviter La Florade ? J’ai peur que ce gaillard-là ne lui fasse une déclaration à la seconde visite !

— Eh bien ! qu’est-ce que cela vous fait ? répondis-je avec une indifférence très bien jouée.

— Cela ne vous fait donc rien, à vous ?

— Il me semble que cela ne me regarde pas du tout.

— Eh bien ! moi, c’est différent ; c’est mon filleul, et je l’aime, le mâtin ! Croyez-vous que ça m’amuse de le voir flanquer à la porte ? Et qu’aurai-je à dire ? Il l’aura mérité ! Elle m’en fera des reproches, la brave femme !

— Non ; après ce que vous venez de lui dire…

— Vous croyez ?

— Ses reproches seraient injustes. S’il l’offense, elle ne pourra s’en prendre qu’à elle-même. Elle est suffisamment avertie par votre silence.

— Allons, je m’en lave les mains alors !

Pasquali ralluma philosophiquement sa pipe, et alla donner un coup d’œil à ses engins, la porte de son jardin n’étant séparée du flot paisible que par un chemin étroit, élevé d’un mètre sur les galets.

— Venez donc que je vous dise ma joie ! s’écria la marquise en se levant et en me tendant la lettre. Oui, je veux qu’il vienne, notre excellent, notre meilleur ami ! Je vais lui écrire moi-même. Venez vite là-haut ; la lettre peut encore partir aujourd’hui. J’enverrai Nicolas au galop du petit âne d’Afrique… Au revoir, voisin ! cria-t-elle à Pasquali par la porte ouverte. Je monte, une lettre pressée ! à tantôt !

Elle monta légèrement l’escalier rapide et difficile. Elle arriva