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Dieu et à l’homme, luttons contre l’orage extérieur et contre l’orage intérieur ; exerçons-nous à la force, réservons le peu que nous en acquérons chaque jour pour un noble emploi. Abstenons-nous de curiosités qui ne peuvent nous donner qu’une sensation égoïste et passagère, ne courons pas après tous les feux follets de la passion : cherchons le soleil durable et vivifiant de l’amour.

— Oh ! ce soleil-là,… à quoi le reconnaîtrais-je ? dit La Florade, railleur, mais un peu pensif.

— À l’utilité de votre dévouement pour la personne aimée, répondis-je. Plus vous donnerez de votre cœur et de votre volonté, plus il vous en sera rendu par l’influence divine de l’amour ; mais quand cette dépense ne peut produire que le malheur des autres, soyez certain que vous vous ruinez en pure perte.

— Pour conclure, dit-il après un instant de rêverie où il me sembla prendre la résolution de respecter ma logique et de garder la sienne, qu’est-ce que je peux faire pour cette pauvre Zinovèse ? Vous n’allez pas me dire comme pour Nama, qu’il faut l’épouser ou la fuir. Je ne peux que la fuir ou la consoler, et dans les deux cas je fais mal. Je la laisse mourir ou la rends de plus en plus coupable envers un mari qui vaut probablement mieux que moi.

— Laissez-la mourir, et tant pis pour elle !

— Vous n’êtes pas consolant, docteur.

— Vous n’êtes donc pas consolé, vous ?

— Non ; je plains cette pauvre femme, et si je suivais mon instinct, mon instinct sauvage comme vous l’appelez, j’irais lui dire que je l’aime encore. Vous voyez bien que je me combats quelquefois. Il en est de même à l’égard de Mlle Roque. Je l’aimerais de bien bon cœur, si elle n’en devait pas souffrir.

— Ne profanez donc pas le verbe aimer ! Vous n’aimez ni l’une ni l’autre.

— Je les aime comme je peux et plus que je ne devrais, car il est bien certain qu’aucune d’elles ne réalise mon rêve d’amour. Vous avez beau dire et croire que mon âme est dépensée en petite monnaie ; je sais bien le contraire, moi ! Je sais et je sens que je n’ai pas commencé la vie et qu’il y a en moi des trésors de tendresse et de passion qui n’auront peut-être jamais l’occasion de se répandre. Où est la femme idéale que nous nous créons tous ? Elle existera pour nous un instant peut-être, en ce sens que nous croirons la saisir où elle n’est pas, et que nous prendrons quelque nymphe vulgaire pour la déesse elle-même ; mais l’illusion ne durera pas. Vous voyez que je parle comme un sceptique ; mais du diable si je le suis ! Puisque la vie est faite d’aspirations, je veux toujours aspirer, et ce que je trouverai, je prétends m’en contenter sans renier Dieu, l’amour et la jeunesse.