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j’étais honteux de moi, j’étais troublé, j’avais une idée fixe : avait-elle aperçu La Florade ? avait-elle rencontré le feu de son regard ? Pauvre homme que j’étais, avec toute ma force lentement amassée et ma longue confiance en moi-même !

La marquise ne me parut pas avoir fait la moindre attention à l’officier de marine, et je me gardai bien de lui en parler.

— Quoi de nouveau ? dis-je à La Florade en le retrouvant le soir sur son navire, où j’étais invité à dîner par le médecin du bord.

— Rien. Elle me met dans une impasse. Elle dit qu’elle ira vivre où je voudrai, pourvu que je promette d’aller l’y voir. Pasquali n’a pu trouver d’autre moyen de l’ébranler qu’en lui disant qu’on devait obéir à la personne qu’on aime, et que, ma volonté étant de l’éloigner, elle avait à me prouver son affection en se soumettant sans condition aucune. Elle a demandé deux jours pour réfléchir, ajoutant que j’avais bien tort de ne pas lui dire moi-même ce que j’exigeais, marquant quelque défiance de la validité des pouvoirs de l’intermédiaire, ne luttant que par son inertie, et montrant à Pasquali étonné cette douceur têtue qui est plus difficile à manier que la violence.

— Alors vous faites bon marché de la violence ? vous ne craignez pas les femmes franchement irritées ?

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Parce que j’ai vu ce matin une autre de vos victimes qui me paraît plus fâcheuse encore que Mlle Roque.

— Vous plaisantez ?

— Non. J’ai vu la Zinovèse. Savez-vous qu’elle est très malade ?

— Au diable le médecin ! Qu’alliez-vous faire là ? Elle vous a parlé de moi ? elle a eu la folie de me nommer ?

Je lui racontai toute l’affaire sans lui dire un mot de la marquise, et quand il sut que le bon Marescat était seul avec moi en possession de son secret, il se calma et me parla ainsi :

« Cette Monaquoise était une beauté incomparable, et je suis sensible à la beauté plus que je ne peux le dire. Elle était coquette. Rien ne ressemble à une femme qui veut aimer comme une femme qui veut plaire. Une coquette ressemble également beaucoup à une femme de conscience large et de mœurs faciles. J’y fus trompé. Je crus qu’on ne me demandait qu’un effort d’éloquence et un élan de passion pour succomber avec grâce. Est-ce ma faute, à moi, si, croyant rencontrer une aventure, je tombe dans une passion ? Vous voyez que je ne suis pas un fat. Plus la Zinovèse me disait que j’étais sa première et unique faute, moins je voulais le croire, et, ne lui demandant aucun compte de son passé, je lui savais mauvais gré de se faire inutilement valoir. Je fus vite dégoûté, non pas d’elle, mais de cette importance qu’elle voulait donner à nos relations. Il