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ne me nommez pas, car la brigadière pourrait bien me le faire payer plus cher que cent sous !

Marescat étant un excellent homme, je crus devoir prendre son avis en considération, et je promis d’avertir La Florade le soir même.

Comme je descendais de voiture à l’entrée de la petite terrasse de Tamaris, j’eus comme un éblouissement en voyant La Florade en personne vis-à-vis de moi, à l’autre bout de cette même terrasse. Il avait été voir Pasquali pour connaître le résultat de sa conférence avec Mlle Roque, il s’en retournait à pied par La Seyne avec Pasquali. La marquise, en voyant passer son voisin, l’avait appelé pour lui dire bonjour. Elle échangeait avec lui quelques mots à travers la grille du rez-de-chaussée. La Florade se tenait à distance respectueuse. Je ne sais si elle le savait là ou si elle remarquait la présence d’un étranger ; mais il la voyait, lui, et à travers le buisson d’arbousiers il la contemplait avec tant d’attention, qu’il ne me vit pas tout de suite. Toutes les furies de la jalousie me firent sentir instantanément leurs griffes. Je n’avais jamais aimé, et j’avais trente ans ! Je feignis de ne pas l’apercevoir. Je saluai rapidement Pasquali et j’entrai brusquement dans le vestibule, comme si j’eusse voulu défendre la maison d’un assaut.

En me voyant, la marquise exprima une vive satisfaction et dit à Pasquali : — Ah ! voilà notre providence, à Paul et à moi ! Mais où cours-tu ? ajouta-t-elle en rappelant l’enfant, qui voulait s’échapper à travers mes jambes par la porte entr’ouverte.

— Laisse-moi aller voir l’officier de marine qui est dans le jardin, répondit Paul ; je veux regarder de près son uniforme !

— Non, lui dis-je, vous n’irez pas ! Quand on est enrhumé, on ne doit pas courir dehors !

En lui parlant ainsi, je le retins et le ramenai vers sa mère avec une vivacité tout à fait en désaccord avec ma manière d’être habituelle, et dont il s’étonna et se piqua même un peu. On devine de reste le motif secret de ma brusquerie. Je ne voulais pas que Paul devînt un lien entre sa mère et La Florade, comme cela avait eu lieu pour moi. Elle m’approuva sans me comprendre, et prit son fils sur ses genoux ; je regardai si La Florade épiait toujours : il avait disparu. Pasquali, qui ne voulait pas le faire attendre, prenait congé.

Paul avait un peu de fièvre. Je prescrivis vingt-quatre heures de claustration, à moins qu’il ne fît très chaud le lendemain, et la marquise me conduisit à sa petite pharmacie de voyage pour que j’eusse à choisir les infusions convenables. J’hésitais, je réfléchissais, j’étais minutieux comme s’il se fût agi d’une grosse affaire, le tout pour prolonger ma visite. Je vis que ma stupide ruse inquiétait la pauvre femme. Je me la reprochai et me hâtai de la tranquilliser. Au fond,