Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/802

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maine au milieu des sifflemens de la bourrasque et des rugissemens du flot. Je rêvais aussi aux délices des belles nuits d’été, aux harmonies de la brise marine, à la succession de spectacles enchanteurs que la lune prodigue aux montagnes désertes et aux noirs écueils plongés dans la vague phosphorescente. Être sans besoins, sans appréhensions personnelles sous ce toit de branches, sans souvenirs et sans projets, et posséder à soi tout seul, pendant des saisons entières, le tableau grandiose de la nature à tous les momens de sa vie mystérieuse, compter ses pulsations, respirer ses parfums sauvages, étudier ses moindres habitudes, connaître les moindres phases de tous ses modes d’existence et de manifestation depuis le sommeil du brin d’herbe jusqu’à la marche du nuage, et depuis le réveil bruyant de l’oiseau de proie jusqu’au muet travail de décomposition du rocher ! L’homme du peuple sent vaguement ces jouissances, mais la continuité de sa contemplation forcée le blase et l’attriste. Il arrive à participer au calme stupéfiant de la pierre rongée par la lune ou à la monotonie du mouvement des ondes fouettées par le vent. L’homme intelligent résisterait davantage, mais il pourrait bien s’exaspérer tout à coup contre l’assouvissement de sa jouissance, car, il n’y a pas à dire, c’est un idéal pour tous les amans de la nature que de se trouver aux prises avec elle dans un lieu déterminé, sans être rappelé à chaque instant aux obligations de la vie sociale ; mais l’habitude de cette vie devient impérieuse, et ceux qu’elle fatigue ou irrite le plus sont peut-être ceux qui s’en passeraient le moins.

Je voulus gravir jusqu’à la pointe du promontoire, mais de là je ne vis que la mer immense et la garigue déserte jusqu’à la forêt parcourue la veille. Je me flattais de reconnaître la robe noire de la marquise, si elle était en promenade de ce côté. Je ne vis pas un être humain entre la falaise et la forêt. Je redescendis, et comme j’approchais d’une source où, sur quelques mètres de terre fraîche entourés d’une palissade, croissaient au beau milieu du désert des légumes Dieu sait par qui plantés, je vis un homme assis au bord de l’eau qui se leva à mon approche : c’était Marescat. Le cœur me battit bien fort, mais j’appris vite qu’il était seul.

— Je suis venu, dit-il, vous chercher de la part de madame. M. Paul s’est un peu enrhumé hier à la chapelle. On n’a pas voulu sortir aujourd’hui, mais madame a dit : « Peut-être que le docteur nous cherchera. Il ne faut pas qu’il revienne à pied, c’est trop loin. Conduisez-lui la calèche et priez-le de venir nous voir s’il a le temps de s’arrêter ; si ça le dérange, vous le mènerez tout droit au paquebot de La Seyne. »

C’était aimable et bon de la part de la marquise ; mais il n’y avait ; pas lieu de s’enfler d’orgueil. Paul était enrhumé, et on désirait