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redressant avec orgueil et en perdant pour un instant sa livide pâleur. Eh bien ! c’est comme ça. Vous êtes jolie, tout à fait jolie, vous pensez ? J’ai été encore plus jolie que vous, et je n’aurais pas changé ma figure pour la vôtre il y a dix-huit mois ; mais la fièvre est venue, et vous voyez comme elle m’a menée ! Me voilà maigre, vilaine et vieille à vingt-six ans. Croyez-vous que ça fait plaisir à mes ennemies ! Oh ! si je peux en réchapper… Mais je ne pourrai pas, et je vois bien que tout est fini !

Et la Zinovèse se mit à pleurer, les mains sur ses genoux et la figure dans ses mains.

— Voyons ! il faut tâcher de la guérir, me dit la marquise avec un accent de bonté. Vous irez demain, docteur, et je suis sûre que vous lui donnerez du courage.

— Qu’est-ce que je vous disais ? ajouta-t-elle, lorsqu’en rentrant sous la forêt nous nous retournâmes pour regarder une dernière fois la Zinovèse immobile, absorbée dans sa douleur : elle pleure son passé, comme la fille de Jephté pleurait son avenir. Elle est moins intéressante ; pourtant… si elle allait s’évanouir là ?… Non, elle se lève et s’en va d’un pas assez ferme. La jugez-vous perdue ?

— Je ne peux rien juger ainsi ; l’auscultation m’éclairera.

— Alors vous y allez demain ? On vous verra peut-être ?

— Est-ce que vous irez au cap Sicier ?

— Je ne sais pas encore ; mais, si je n’y vais pas, vous repasserez bien par Tamaris ?

— Oui, d’autant plus que j’ai à revoir Pasquali pour mon affaire.

— En vérité, je regrette que cette terre dont vous héritez soit mal située, et que vous ne puissiez pas planter un chalet suisse au milieu de vos artichauts ! Quel honnête et bon voisinage c’eût été pour Paul et pour moi ! Vous lui auriez appris bien des choses excellentes. Je vous l’aurais envoyé en toute confiance, vous auriez été le médecin des pauvres… Enfin il n’y faut pas penser, puisque vous n’êtes pas riche et que le devoir vous appelle ailleurs. On est toujours bien là où on se dévoue, et vous serez bien partout.

Ce que je rapporte des paroles de la marquise est comme le résumé affectueux, enjoué et parfaitement calme de son attitude vis-à-vis de moi. Il était bien évident que, renseignée par mon excellent baron, elle m’accordait sans marchander une estime particulière, et que, les circonstances s’y prêtant, je pouvais devenir son ami ; mais il n’était pas moins évident que des sentimens trop exaltés de ma part eussent été accueillis avec surprise, regret et déplaisir. — Elle est cependant bien imprudente, cette femme si réfléchie ! me disais-je en traversant la forêt avec elle. Elle ne semble pas se rappeler que je suis jeune, et qu’il n’est pas nécessaire à mon âge d’entretenir en soi des vanités et des chimères pour se sentir très