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Elle me fit cette réponse d’un ton farouche et hautain. Sa figure était de plus en plus sinistre. Mme  d’Elmeval la regardait avec étonnement, la bonne et l’enfant avec crainte.

— Tout ça ne me dit pas si je vais bientôt mourir, reprit la malade avec autorité. Allons, le médecin doit savoir cela, il faut le dire !

— Je ne peux pas vous le dire sans vous examiner et vous interroger. Ce n’est pas ici le moment ; où demeurez-vous ?

— Là, derrière cette montagne, répondit-elle en me montrant les premiers contre-forts du cap Sicier, tout auprès de la mer, au poste des gardes-côtes. C’est moi la femme au brigadier Estagel.

— Alors vous avez le moyen de faire venir un médecin, ou la force d’aller en consulter un à la ville, puisque vous avez pu monter à la chapelle pour prier.

— Ce n’est pas la même chose ! Je suis trop laide à présent pour aller me faire voir à la ville, et d’ailleurs je ne crois pas à tous ces médecins-là ; ils ne m’ont rien fait.

— Mais vous, faites-vous ce qu’ils vous ordonnent ?

— Je ferai ce que vous me direz. Voulez-vous venir chez moi demain ?

— Soit. J’irai.

— C’est bien, fit-elle tranquillement du ton d’une reine qui accepte l’hommage d’un sujet.

— Merci ! lui dis-je d’un ton ironique.

— Oh ! je vous paierai, reprit-elle, j’ai de quoi ; je ne suis point une pauvre pour demander la charité.

Son impertinence m’agaçait.

— Alors je n’irai pas, repris-je. Vous direz merci, ou vous ne me verrez pas.

— Merci donc ! répondit-elle avec ce sourire amer et presque haineux que j’avais déjà remarqué.

Au lieu de s’en aller, elle resta fièrement plantée avec son bâton sur le tertre au-dessus de nous. Elle examinait la marquise avec une attention singulière, et celle-ci la regardait avec une certaine curiosité.

— Savez-vous ce que c’est que cette femme ? me dit-elle à voix basse ; c’est une beauté déchue de sa gloire. Elle a dû être ravissante, coquette, adorée de tous les jolis cœurs de la plage ; elle a régné dans son milieu, elle a commandé, usé et abusé de son pouvoir ; elle s’est bien mariée pour sa condition : elle gouverne maintenant son mari, elle bat ses enfans si elle en a, elle fait des pèlerinages, et elle ne croit à rien ; elle s’ennuie, elle regrette la danse, la parure et les triomphes ; elle est malade de mécontentement,