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légèrement ses forces et ses ressources. L’instinct vague de cette situation indécise du continent n’est peut-être pas sans influence sur la manière de considérer cette expédition, assez froidement accueillie et accomplie assez froidement, nous le croyons. Il n’y a jusqu’ici que l’Espagne, dirigée par le ministère actuel, qui semble se jeter avec enthousiasme sur cette occasion de gloire ; mais ce n’est pas de la gloire que nous allons chercher au Mexique, où il n’y en a pas beaucoup à recueillir et où il y a sans doute infiniment plus d’ennuis à essuyer. C’est quelque chose de plus pratique et de plus sérieux que nous allons tenter en poursuivant la réparation d’une multitude de griefs, en essayant de fonder des relations plus sûres, plus équitables, moins troublées par le caprice de pouvoirs anarchiques. C’est en un mot une expédition de nécessité qui a naturellement sa limite dans ce qui est dû à notre politique, à l’inviolabilité de nos droits et de nos intérêts.

Cette nécessité d’agir, de paraître enfin avec l’autorité de la force dans le golfe du Mexique, a pu être voilée longtemps par d’autres événemens, et elle peut être palliée encore pour bien des esprits par des considérations de politique générale. Au fond cependant, on ne peut le méconnaître, elle est le résultat d’une série de faits, de la situation tout entière de ce malheureux pays, et c’est l’anarchie mexicaine qui, depuis quelques années, multiplie jour par jour les provocations à une intervention de l’Europe. La guerre civile ! elle sévit, à vrai dire, depuis quarante ans au Mexique ; mais depuis quelque temps elle a pris un redoublement effroyable d’intensité, achevant la décomposition de cette triste république. Elle date surtout de la chute de Santa-Anna, cet étrange dictateur qui avait eu un jour la fantaisie de se faire élire président à vie, de se décorer du titre d’altesse sérénissime, et qui ne tombait pas moins devant une insurrection conduite par un vieil Indien, le général Alvarez, qui arrivait jusqu’à Mexico avec ses bandes d’Indiens pintos du sud, grelottant de froid sous le climat le plus admirable du monde. C’était un spectacle singulier que celui de ce vieux cacique campant en costume des plus rustiques au milieu de ses Indiens déguenillés et recevant gravement le corps diplomatique, oui a vu bien des choses au Mexique, mais qui n’avait peut-être jamais assisté à semblable réception. Cette insurrection était le triomphe du parti radical, démocratique, fédéral, comme on voudra l’appeler. Le vieil Alvarez en eut bientôt assez de la politique, qu’il ne comprenait guère, et après avoir levé suffisamment de contributions à Mexico, il abandonnait ses compagnons de victoire, retournant avec ses Indiens dans son état de Guerrero, où il régnait en seigneur féodal : personnage bizarre qu’on avait surnommé au Mexique la panthère du sud, La révolution alors, cherchant à s’organiser, prit pour président un des lieutenans d’Alvarez, M. Ignacio Comonfort, pour vice-président M. Benito Juarez, et pour symbole la constitution démocratique de 1857. Seulement l’insurrection avait pu triompher, le nouveau régime ne