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sans leur aveu au moyen des crédits, et qu’ils étaient réduits à la sanctionner après coup, lorsqu’elle était accomplie depuis longtemps ? La science financière avait bien encore quelques adeptes : ceux-ci, pour l’amour de l’art, suivaient la dépense dans les méandres du découvert ; ils supputaient platoniquement le chiffre de la dette flottante, et de temps en temps poussaient un cri perçant de détresse. Tels étaient les Gouin, les Devinck, rares personnages d’autant plus admirés de la foule qu’ils sont censés posséder une science superflue et inaccessible au vulgaire.

Le jour de la dernière session où éclata surtout cette inutilité sublime de la science budgétaire fut celui où, votant le budget de la guerre à 392,000 hommes, l’on apprit, grâce à l’indiscrète curiosité de MM. Émile Ollivier et Picard, que tandis que l’on sanctionnait, en l’honneur de la norme, cet effectif modéré, l’effectif réel, celui qu’il faudrait payer en 1861, s’élevait à 470,000 hommes. Arrivé à ce point, l’abus prenait des proportions trop fortes. Comme M. Fould l’indiquait hardiment dans son mémoire, l’esprit même de la constitution, qui a confié au corps législatif le jute de l’impôt, et par conséquent le vote efficace de la dépense, était méconnu. Par sa comptabilité nouvelle, M. Fould met un terme à cette situation illogique. Désormais la dépense de l’année devra être couverte par le revenu et les ressources prévues de l’année. Le nouveau ministre, pour nous forcer à réaliser cet équilibre aussi nécessaire au bon ordre financier qu’à l’efficacité du contrôle politique, a imaginé d’adroites combinaisons. Il a divisé le budget en deux : il y aura le budget ordinaire et le budget extraordinaire. Des esprits pratiques demanderont peut-être à quoi sert cette distinction, puisqu’en définitive il devra être pourvu à l’extraordinaire aussi bien qu’à l’ordinaire au moyen du revenu et des ressources de l’année. La distinction n’est pas inutile quand on s’adresse à l’esprit français, esprit méthodique et classificateur par excellence, novice d’ailleurs aux questions financières, et qui, au début de son éducation, a besoin que la nature propre de chaque chose lui soit annoncée. Cette distinction sert d’ailleurs à nous inculquer une leçon utile d’économie que le ministre nous donne sous la forme d’une spirituelle antithèse. Dans le budget ordinaire, où la dépense est réputée obligatoire, le revenu doit être basé sur la dépense ; dans le budget extraordinaire, où la dépense est accidentelle et dépend de la volonté réputée du pays, représenté par le gouvernement et les chambres, c’est la dépense au contraire qui doit s’ajuster au revenu. Grâce encore à cette division, nous sommes prévenus que certaines charges, celles qui fourniront les ressources de l’extraordinaire, sont laissées à notre merci. Chaque année, le pays et les chambres pourront ou maintenir ou abolir ces charges, suivant le jugement qu’ils porteront sur les avantages ou les inconvéniens des dépenses au service desquelles elles seront temporairement affectées.

Une multitude de conséquences politiques considérables sortent de ces