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s’applique évidemment aux personnes. Lorsqu’un prélat vivant à la cour de Méléandre prononce un long discours contre l’hérésie des hyperephaniens, introduite en Sicile par le sectaire Vsinulca, anagramme de Calvinus, il est clair qu’il s’agit des calvinistes, et on rencontre dans l’Argenis un grand nombre d’allusions aussi claires que celles-là ; mais il y en a également un certain nombre dont il est plus difficile de déterminer le sens.

Ce qui fit l’intérêt de ce roman, et ce qui l’a fait vivre assez longtemps, comme on a pu le voir, c’est avant tout son caractère politique. Les aventures romanesques y sont fréquemment coupées par des dissertations sur les diverses formes de gouvernement, sur les droits et les devoirs des rois, contre la liberté de conscience, sur l’organisation des tribunaux, sur les moyens d’abréger les procès, sur les finances, etc.

Si la passion qu’on prête au cardinal de Richelieu pour le roman de Barclay est réelle, elle s’expliquerait aisément par les tendances politiques de l’ouvrage. Barclay était ce qu’on appellerait de nos jours un défenseur ardent du principe d’autorité ; il s’élève quelquefois dans son roman contre les favoris des rois, mais jamais contre la puissance des rois. Dans la grande discussion du premier livre de l’Argenis sur la meilleure forme de gouvernement, celui des interlocuteurs auquel Barclay donne l’avantage est le défenseur de la monarchie héréditaire et absolue contre la démocratie, contre l’aristocratie et contre la monarchie élective, pour laquelle plaide le factieux Lycogène, qui aspire à détrôner Méléandre. L’auteur présente d’ailleurs tous les côtés de la question assez habilement et avec une assez grande liberté. À une époque où de semblables discussions, écartées depuis la ligue, étaient devenues rares dans les livres et surtout dans les ouvrages légers, on s’explique facilement que ce mélange d’aventures, de sentimens romanesques et de dissertations politiques ait exercé, gardé même assez longtemps une certaine puissance sur les esprits. Le roman d’Argenis est un précurseur du Télémaque, avec des inspirations moins élevées, moins libérales, et avec un sentiment moral moins pur.

Telles sont les principales variétés du genre romanesque sous Louis XIII, roman familier et moral, roman maritime et pittoresque, et enfin roman politique. Nous n’avons à signaler dans cette période aucun chef-d’œuvre durable ; mais on voit que la sphère des fictions romanesques s’est notablement élargie depuis l’Astrée, et en attendant que ce genre produise des chefs-d’œuvre, il reflète déjà le progrès qui s’est accompli dans le langage, dans les idées et dans les mœurs.


LOUIS DE LOMENIE.