Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/733

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en chevaliers et en châtelaines du moyen âge ; il y avait joint des prêtres, des magistrats, des philosophes costumés en druides ; il avait répandu sur ce mélange d’époques et de civilisations diverses un certain coloris faux, mais assez brillant et assez original, par la combinaison des légendes de la mythologie druidique et de la mythologie du moyen âge avec une certaine préoccupation d’exactitude dans l’exposé des événements historiques, dans le tableau des usages des Gaulois et des nations barbares, et enfin avec un sentiment assez vif des passions humaines et des beautés de la nature : l’évêque de Belley prit un sentier plus modeste et plus étroit, mais qui jusqu’à lui avait été assez peu fréquenté par les romanciers.

Jusque-là en effet, la littérature romanesque ne s’était guère attachée à la peinture de la vie ordinaire, de la vie domestique, que pour la tourner en dérision dans les fabliaux ou dans les nouvelles imitées de Boccace. Le roman sérieux se maintenait plus ou moins sur le terrain de la poésie héroïque et de la légende. Dans son désir d’édifier ses contemporains en intéressant leur imagination par des récits empreints d’une moralité applicable et pratique, l’évêque de Belley chercha des sujets et des incidens romanesques, non plus dans la sphère chevaleresque et légendaire, mais dans la vie réelle, dans la vie de tous les jours. Ses personnages portent souvent, il est vrai, des noms qui n’appartiennent en propre à aucun temps et à aucun pays : ils s’appellent Fulgent, Palombe, Hellenin, Callitrope, Agathonphile, Parthénice, Aristandre, Darie, etc. ; mais tous ces noms représentent des hommes ou des femmes engagés presque toujours dans des situations qui en elles-mêmes n’ont rien de fantastique ni d’exceptionnel. Si l’évêque romancier avait eu un talent d’observation plus sagace et plus contenu, plus dégagé à la fois des préoccupations du prédicateur et des entraînemens d’une imagination fougueuse et déréglée, il eût pu créer, des le commencement du xvii, siècle, le roman de mœurs, le roman de la vie domestique et honnête, à la façon de Mme Riccoboni ; il garde au moins le mérite d’avoir mis sur la voie de ce genre de roman.

Il serait fastidieux d’analyser en détail des ouvrages qui pèchent tout à la fois par la prolixité et le mauvais, goût du style et par le caractère incohérent de la composition. Ce qui dans l’histoire du genre romanesque donne une certaine valeur aux ouvrages de l’évêque de Belley, c’est l’intention de l’écrivain et le choix de ses sujets bien plus que l’exécution ; il suffit dès lors d’indiquer quelques-uns de ceux qu’il traite, afin de pouvoir signaler en lui, des le règne de Louis XIII, un précurseur des nombreux romanciers qui depuis ont cherché à peindre la vie ordinaire, non plus par son côté bouffon, mais dans ce qu’elle a de sérieux et dans ce qu’elle peut offrir de dramatique et d’émouvant.