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cordier, qui s’entendaient pour fournir la ferrure ou le bois, les courroies ou la ficelle ; mais voilà que la France révolutionnée prend en haine la perfide Albion, et menace de l’anéantir. Il faut s’enrichir pour mieux résister ; le travail, c’est la lutte, c’est la victoire. Chacun se met à sa tâche. On s’engoue pour les inventions dédaignées ; le capital abonde, les perfectionnemens se succèdent, si bien qu’en 1859 on introduit pour être utilisés 547,316,000 kilogrammes[1]de coton en laine, et qu’on exporte en fils et en tissus une valeur de 1,205,211,100 francs. Nous recevons actuellement en matière brute 82 millions de kilogrammes, et nous exportons pour 68 millions de francs. Depuis 1788, l’Angleterre a progressé dans la proportion de 1 à 55, et la France dans la proportion de 1 à 10.

La révocation de l’édit de Nantes avait chassé au profit de l’Angleterre nos maîtres et nos ouvriers les plus habiles dans le travail de la soie. Les réfugiés, quoique victimes de Louis XIV, restaient imbus des idées de Colbert ; ils croyaient qu’un ensemble de règlemens restrictifs était nécessaire pour naturaliser dans leur nouvelle patrie la brillante industrie qui semble essentiellement française. Pendant plus d’un siècle, on les place pour travailler à l’abri d’une prohibition absolue, écartant même les tissus des Indes. On s’aperçoit en 1824 que leur spécialité n’a participé que très faiblement à l’essor général des manufactures. Sur la proposition d’Huskisson, le régime prohibitif est remplacé par des droits protecteurs de 30 pour 100 d’abord, et vingt ans plus tard de 15 pour 100. On encourage aussi les spéculations sur la matière brute en supprimant les droits fiscaux dont elle a été grevée. Grâce à ces mesures, l’Angleterre vend aujourd’hui à la France 2 millions de kilogrammes de soie brute, et, tout en recevant, des tissus de l’Europe et de l’Asie, elle confectionne chez elle pour ses propres besoins une quantité que je crois supérieure à la consommation française. Son exportation en soieries est faible encore, comparée à la nôtre : elle n’atteint pas en valeur 60 millions de francs ; mais patience ! les dernières réformes de M. Gladstone ont fait disparaître le peu qui restait du système protecteur, et, soyez-en certains, dans cette lutte à armes égales contre les artistes lyonnais, les fabricans britanniques ne tarderont pas à acquérir ce qui leur manque pour envoyer leurs produits avec avantage sur les marchés lointains.

La vitalité industrielle peut être encore mesurée par l’activité respective des correspondances, de la marine marchande, du cabotage.

  1. Cette quantité de matière brute équivaut à 5 milliards 800 millions de mètres de calicots.