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garibaldiens, de chasseurs de Vincennes et de dragons, tous plus ou moins vêtus. Ce qui constitue le volontaire, c’est le képi et le fusil ; il n’est guère question d’autre chose. À chaque station, les populations manifestent leur enthousiasme par des hourras qui se répètent et se prolongent dans la campagne ; femmes, enfans, agitent des mouchoirs et de petits drapeaux. Nos volontaires répondent par des cris frénétiques. Si ces gens-là apprennent à se battre aussi bien qu’ils savent crier, ça ira mieux.

Le soleil se couche au milieu des éclairs et du tonnerre. Nous traversons la Delaware dans l’obscurité. Des bataillons de lucioles scintillent comme des étincelles dans le feuillage des grands bois sombres, le long des prairies humides. Nous arrivons à Philadelphie par une pluie battante, et on descend à l’hôtel Lapierre.

Après souper, le colonel Ragon nous raconte avec simplicité, modestie et clarté, des épisodes de la prise de Malakof, où il a joué un rôle important. Le prince, qui malheureusement n’a guère le temps de causer, nous a parlé non de l’Amérique, qu’il voit comme nous pour la première fois, mais sur l’Amérique au point de vue des idées. Il a, ma foi, bien parlé, et j’avais besoin qu’il me remontât le moral, car, tu le vois, ce qui jusqu’ici m’a frappé n’est pas enchanteur.

Me voilà pour la première fois dans un gîte américain, puisque nous avons toujours couché à bord. Un lit de six pieds carrés au fond d’une alcôve sans rideaux ; une grande chambre, du plafond très élevé de laquelle descend beaucoup trop peu un bec de gaz qui vous crève les yeux et incendie l’atmosphère déjà brillante, — trente-trois degrés ; — deux fauteuils à bascule, dits à l’américaine, montés sur un croissant qui vous casse les jambes, et qui ne servent absolument qu’au plaisir de l’escarpolette, car un habit même ne peut y rester sans être emporté au diable dans le balancement élastique de ce meuble extravagant ; une grande croisée à guillotine, qu’il faut laisser ouverte sous peine d’étouffer : voilà le comfortable américain, car nous avons certes les plus belles chambres de l’établissement. J’entreprends d’éteindre l’insupportable bec de gaz trop haut perché pour que mon bras l’atteigne. Me vois-tu essayant de grimper sur les fauteuils à bascule ? Après des entreprises insensées et une foule de poses d’un pittoresque mal récompensé, je crois avoir trouvé un moyen admirable : j’attaque la clé du conduit de gaz avec le bout de ma canne, mais la clé ne tourne pas. On est condamné au gaz à perpétuité, tant pis pour ceux qui ne l’aiment pas. Mais voici bien une autre affaire ! Des régimens de gros insectes noirs prennent leurs ébats jusque sur mon lit. Enchanté d’abord et comptant sur une rencontre entomologique intéressante, je me mets en chasse à travers la chambre, et je réussis à