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dessus, tu t’en souviens, des renseignemens bien certains et bien tristes.

Autant la ville était morne et comme écrasée hier matin par la joie du dimanche, autant le lundi lui a rendu aujourd’hui de fiévreuse activité. C’est un va-et-vient inoui. Les files d’omnibus se croisent dans tous les sens. Disons en passant que les choses d’utilité publique ne sont pas ici l’objet des petites filouteries dont on est forcé de se préserver chez nous. Si les pique-poches sont partout, et dans les omnibus comme ailleurs, la population, — les pique-poches y compris, — paie consciencieusement le prix de la course au cocher de l’omnibus. Il serait assez facile de le tromper, car il est l’unique surveillant et l’unique caissier de son véhicule. Une petite ouverture correspondant de l’intérieur de la voiture à la poche de son paletot reçoit le prix convenu, et il n’arrive jamais, dit-on, qu’il ait à quereller ou à sévir. Ces omnibus sont toujours au grand complet sans que rien vous en avertisse. Ils ont douze places, mais on s’y entasse vingt-cinq en s’asseyant, hommes et femmes, sur les genoux les uns des autres. Ceci me paraît plus démocratique que décent.

Je ne circule en omnibus que pour descendre n’importe où et marcher au hasard. Je m’arrête devant une tente pavoisée d’ornemens belliqueux. Un charlatan en habit noir débite avec accompagnement de grosse caisse et de trompette un boniment mêlé de pantomime. La foule se presse autour de lui pour acheter : quoi ? rien ! C’est lui qui achète, tu ne devinerais pas quelle denrée. Des hommes ! C’est un recruteur, c’est-à-dire un gentleman qui tient bureau d’enrôlemens. — Dépêchez-vous, il n’y a plus que vingt places ! Voyez comme j’habille mes soldats ! — Et il montre deux gaillards déguisés en zouaves de fantaisie qui lui servent d’enseigne. — Nourris, blanchis, vêtus, chaussés, coiffés, et douze dollars pour les menus plaisirs ! — On entre, on s’enrôle et on part sur l’heure, par bandes, drapeaux en tête et tambour battant. Le singulier pays ! Si parmi tous ces chercheurs d’aventures qui ne songent qu’aux dollars, ou parmi ces pauvres diables qui se contenteront d’être habillés et nourris tant bien que mal durant trois mois, il y a quelques vrais patriotes, quelle solidité de foi et de dévouement ont-ils donc dans le ventre pour que ces réclames et ces formes ridicules de l’enthousiasme ne les rebutent pas ! C’est la caricature de nos anciens enrôlemens volontaires si sérieux et si pittoresques.

Les noms des divers corps nouvellement formés sont affichés partout, et plusieurs sont accompagnés d’images pour tenter les amateurs de costumes militaires. C’est un pot-pourri de toutes les