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ment : il vole si bien avec ses ailes toutes neuves ! Mais trouverat-il une nourriture convenable aux Açores ? je n’y ai pas aperçu une seule tithymale ! Et une femelle ? car il s’agit d’acclimater peut-être l’espèce. Et si l’espèce est inconnue aux Açores et qu’un amateur rencontre et saisisse mon fugitif, voilà une grosse erreur dans la science. Les savans vont le naturaliser dans cette région, et je serai obligé d’écrire à la société entomologique : « Rectifiez vos catalogues ; ce lépidoptère est né sur la côte d’Afrique ; il est éclos à bord du Jérôme-Napoléon le… » Vois quelles conséquences peut avoir cette aventure !

15 juillet. — Nous sommes dans le courant du golfe du Mexique, le fameux gulf-stream. Des exocets, poissons volans, sortent de la mer et fuient à tire-d’aile devant le navire pour aller piquer une tête un peu plus loin. Ce jeu semble les divertir beaucoup. L’un d’eux, plus hardi que les autres, se hasarde à nous traverser ; mais il embarrasse ses ailes en baudruche dans un cordage et tombe bêtement sur le pont. Un autre, à l’imitation de son camarade, passe comme une balle au-dessus de la tête de la duchesse d’Abrantès et va s’aplatir sur le bordage. Pour les punir de leur brutalité, qui est quelquefois dangereuse pour les yeux, on les mange ; ces espèces de maquereaux, à la peau bleuâtre reflétée d’argent, sont très bons.

16 juillet. — Nous naviguons toujours dans le gulf-stream, où nous ne rencontrons que des méduses et des holothuries physales, zoophytes qui flottent ou naviguent ici par milliers. La température est tiède et humide. Le vent se lève vers quatre heures, on fait de la toile, c’est-à-dire qu’on met toutes les voiles en branle, et on file plus de douze nœuds à l’heure. Ce soir, belle brise, beau temps, ce qui, en langue vulgaire, signifie : il fait du vent, la mer est agitée, et tout roule sur le plancher.

17 juillet. — Où sommes-nous ? Je n’en sais rien. On n’y voit goutte à vingt pas devant soi, et cependant il fait jour. C’est un bien autre brouillard que celui de Gibraltar. Tout est mouillé. Il ne pleut pas, et cependant le pont est couvert de larges gouttes de pluie qui tombent des cordages. Il ne fait pas de vent, mais la mer n’en est pas moins très dure. Comme nous sommes sur la grande route d’Europe en Amérique, nous faisons siffler la vapeur et nous sonnons la cloche toutes les cinq minutes pour avertir les passans de ne pas nous couper en deux. Bien nous en a pris, car à deux brasses de nous passe, comme le vaisseau-fantôme, un gros navire dont les voiles pendent flasques le long des mâts et qui se balance majestueusement sur les larges plis mouvans de la houle. Dans la soirée, le ciel se nettoie un peu, et la lune se montre toute blêmie. Il n’y a plus trace de comète. Un steamer de la compagnie Cunart