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hangar de branchage qui règne tout autour de la grande place, nous voyons manœuvrer l’infanterie espagnole et défiler les obusiers de montagne à dos de mulet. Toujours bonne musique et belles troupes, bien différentes de ces légions hâves et déguenillées qu’en 1839 nous avons rencontrées sur les chemins de la Catalogne. Celles-ci ont belle prestance militaire et bonne tenue.

Nous repartons, et me voilà regalopant dans les sables avec mon colonel, en plein midi, par un joli soleil, dont je ne me plains jamais, frileux que je suis. Tout se passe fort bien. Cependant les Marocains parcourent encore la campagne, et nous pouvions voir notre navigation sur l’Oued-Marta contrariée par quelque bande en humeur de pourchasse et de fantasia. La Mouche n’est pas précisément un navire de guerre : mais s’il fallait penser à tout, on ne verrait rien.

À quatre heures nous stoppons devant Ceuta, sur la cote d’Afrique, Pauvres colonnes d’Hercule, que dans mon enfance je rêvais tout en jaspe, en or ou en confitures ! L’une est un rocher hérissé de canons anglais, l’autre un bagne espagnol. Nous descendons à terre. On nous fait attendre longtemps à la porte de la citadelle, enfin on nous introduit. La ville est laide : les constructions mauresques ont été flanquées de miradores et arrangées à l’espagnole. Cette ville de neuf mille âmes est située sur un plateau de rocher assez élevé. Les rues sont pavées en cailloux de diverses couleurs, imitant la mosaÏque. C’est propre, mais la poussière et la chaleur sont rudes. Visite au presidio naturellement. C’est triste et puant, des figures d’atroces scélérats, d’idiots répulsifs. Ils sont enchaînés comme à Toulon : quelques-uns sont rivés au pied des lits du dortoir. Ces malheureux avaient des femmes et des enfans qui se gênaient à la porte avec des paniers. Ceuta, triste station, possède deux mille forçats, six mille soldats et mille habitans volontaires. La possession espagnole ne comporte que dix lieues de circonférence. Les Marocains, au-delà de cette limite, tiennent la campagne comme à Tetuan. Nous repassons le détroit, et ce soir nous mouillons de nouveau à Gibraltar. La nuit est magnifique. La lune se couche derrière le gros rocher de John Bull. Dans une rue de Ceuta, j’ai ramassé un gros ténébrion (la norica planata) qui se passait la fantaisie de sortir en plein jour. Le colonel Ragon me demande si j’ai enfin trouvé le coléoptère de mes rêves. Peut-être avais-je rêvé de celui-ci, mais à coup sur je ne l’avais jamais rencontré.

Tanger, 28 juin.

Encore un jour en Afrique, tant mieux ! Nous partons de bonne heure sur le yacht pour Tanger. Une grande plage sablonneuse qui