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main du général Touron, je me hisse sur le cheval d’un dragon quelconque, et nous partons à travers les nuages de sable et de poussière. Neuf kilomètres à fond de train, et toujours la plaine aride, mais circonscrite dans de superbes montagnes. Le prince est reçu avec les honneurs militaires par les postes de cavalerie échelonnés sur la route. Une avant-garde et une escorte de chasseurs, le général Touron à cheval avec quelques officiers accompagnent la voiture. Si je te donne ces détails, c’est pour que tu ne me suives pas avec effroi dans ce pays hostile à nos figures européennes.

Belle chaleur tempérée par un peu de vent de mer. À travers une immense plaine de sable et des rivières sans eau, sur une route tracée par le passage des troupes, des mulets et des arrieros, nous arrivons à Tetuan au son des tambours et de la musique militaire, musique espagnole très vivement rhythmée et très agréable. Nous voici sur le terrain d’une conquête toute récente. Les Espagnols et les Juifs occupent la ville, les Marocains ont fui en grande partie dans la montagne ; la bourgeoisie maghrébine est restée dans ses foyers pour surveiller sa propriété. Le général espagnol et l’état-major, tous beaux hommes à l’air martial, nous conduisent au palais qu’ils occupent ; c’était l’alcaçar de l’empereur du Maroc : nous y trouvons des rafraîchissemens et des cigares. Nous allons ensuite par la ville : petites rues sombres, fouillées sous le ventre des maisons qui communiquent entre elles au moyen de galeries soutenues d’arcades basses ; boutiques exiguës, pavage en cailloux pointus ; tout cela dans le système algérien, plus caractérisé et moins pittoresque cependant, vu qu’Alger est en pente rapide, et ceci sur un terrain plat.

On nous fait entrer chez un richard marocain pour nous donner un aperçu des habitations et des habitudes locales. Le richard, qui est, dit-il, en train de rebâtir, ne montre que ce qu’il veut bien, sa cour intérieure, sa cuisine et deux de ses femmes, qui sont noires et laides ; les blanches ne traînent pas dans les coins. Autre visite chez un Juif qu’on avait prévenu et qui nous présente sa femme, Mme Tabar, très belle personne, trop grasse, richement vêtue de velours et de brocart d’or. Sa figure est fine, vive, très blanche, et plairait en tout pays ; mais l’embonpoint est comme un mal chronique, ou si l’on veut comme un bienfait chronique exagéré chez les Juives d’Afrique. Pourtant nous rencontrons dans la rue des types Israélites plus élégans de formes, des filles brunes aux yeux ardens, aux cheveux crépus, à la lèvre supérieure teintée d’un léger duvet noir. Quelques négresses passent, voilées comme les Mauresques, ce qui n’est pas la coutume d’Alger.

Nous visitons une mosquée et deux synagogues, puis le général Touron invite le prince à passer la revue des troupes. Abrités par un