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SIX MILLE LIEUES
À TOUTE VAPEUR

II.
Dellys, 23 juin.

Je ne te décrirai pas le charmant yacht du prince au point de vue pittoresque ; tu l’as vu dans le port de Toulon. Rien de plus simple et de plus élégant. Tu sais que le pont est surmonté d’un rouf, c’est-à-dire d’un grand habitacle qui contient le logement du prince, sa chambre, son cabinet de travail et son salon, le tout tendu de vert sombre, à bordure dorée, très sévère ; sous le rouf, sa salle à manger, entourée par les cabines de la princesse, de la duchesse d’Abrantès, sa dame d’honneur, et les cabines des aides de camp du prince ; à l’avant du bâtiment, le carré des officiers et leurs logemens. L’espace est partout très bien ménagé, et, comme dans toute construction nautique bien établie, il n’y a pas une place grande comme la main qui ne soit utilisée. En ce moment, le yacht marche avec une grosse blessure. Tu as appris qu’un écueil sous-marin du Cap-de-Fer l’a frappé en pleine poitrine, et on ne sait pas encore si la lésion est profonde. On a vu, durant l’abordage avec le rocher, surnager des masses de débris, et on a eu beaucoup de peine à le dégager de sa terrible étreinte. Il paraît que le choc a été rude. L’accident pouvait être des plus graves. Le prince, que tu sais très vif, a eu le sang-froid et la patience des grandes occasions. La fille de Victor-Emmanuel, bercée dans les tempêtes et brave comme son père, a interrompu à peine son sommeil pour de-