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droite et à gauche, firent feu par les fenêtres ; les autres, présentant la baïonnette au poitrail des chevaux, en abattirent quelques-uns, qui rompirent la charge et leur firent une sorte de retranchement. Les cavaliers tournèrent bride, et, se voyant poursuivis, coururent donner l’alarme au reste de la garnison. Pendant ce temps, les riotorts, qui avaient plus de sang-froid et d’expérience, étaient montés sur le rempart, dont ils avaient facilement chassé les rares défenseurs, ébahis du spectacle étrange qui se passait sous leurs yeux. Les mousquetaires les y rejoignirent bientôt, et, retournant les canons, ils commencèrent à tirer sur la ville. Ce fut alors que Louis XIV les aperçut.

« Le maréchal de Luxembourg, comprenant aussitôt ce qui se passait, se jeta en avant, suivi des compagnies des gardes qui s’étaient logées dans le premier ouvrage. En un instant, les portes furent enfoncées, et les hardis mousquetaires se virent soutenus par des forces nombreuses contre lesquelles toute résistance était impossible. Après quelques pourparlers, la garnison se rendit prisonnière, et la bourgeoisie demanda grâce… Voilà le récit abrégé d’une action » la plus extraordinaire peut-être de nos annales militaires, si riches en coups d’éclat. Elle n’avait pas coûté quarante hommes tués ou blessés. »


III.

Les soldats français sont ce que les font les généraux. Leur génie est essentiellement souple, varié et perfectible, comme celui de la nation. À presque toutes les époques de notre histoire, on retrouve dans l’armée française deux types d’héroïsme très divers, et tous les deux nationaux, puisqu’ils se reproduisent : l’héroïsme fougueux, corrompu, entraînant, séduisant ; l’héroïsme contenu, savant, vertueux, et parfois un peu maussade. Condé et Luxembourg appartiennent au premier type, Turenne et Vauban au second.

Le Condé qui nous apparaît ici n’est plus tout à fait le Condé de la bataille de Rocroy. Usé à cinquante ans par des infirmités précoces, goutteux, dégoûté, il a sans doute, au passage du Rhin et à la bataille de Senef, ses réminiscences de vieux lion, ses retours d’emportement et d’audace ; mais il est habituellement chagrin, pessimiste, indécis. Il a perdu confiance en lui-même. Turenne mort, il hésite à accepter la succession militaire de ce grand homme, dont il a été si longtemps l’heureux rival. Il se plaint des troupes, il demande des instructions. Ce n’est pas l’Histoire de Louvois, c’est la Jeunesse de Madame de Longueville qui nous montre le génie de Condé dans son éclat.

Luxembourg au contraire est dans toute sa verdeur pendant la guerre de Hollande. M. Rousset a dépeint avec beaucoup de vérité et de talent le caractère de ce bossu plein de feu, de vices et de