Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du psalmiste, a percé les rideaux cramoisis du lit somptueux, et le seigneur poète, brusquement réveillé, a cru voir rouge, — et tu as eu peur, fils de noble ! » Le refrain ironique revient ainsi plus d’une fois et aboutit à ces paroles, dont on comprendra aisément la cruauté venimeuse : « Tu dois respect à tes parens ; or le peuple polonais, c’est ton père, tu n’en as point d’autre. Crains-le ! » Pourtant Slowaçki, en défendant la démagogie de toute pensée vengeresse, a soin de ne point trop nous tranquilliser ; il rassemble au contraire tous les traits de son imagination fougueuse pour peindre l’état de misère et de souffrance dans lequel gémit la société : l’abaissement des caractères, l’éclipse profonde de la justice, les horreurs de la tyrannie, l’insolence du riche, l’agonie du pauvre. Pour redresser le monde moral sorti de son orbite, pour arracher l’humanité à cet abîme de honte et d’opprobre, qui sait ce que jugera nécessaire l’Esprit, « l’éternel révolutionnaire, qui torture les corps et délivre les âmes ? » Le soleil se lève toujours dans des nuages de pourpre, et toute aurore a été sanglante !

La réplique de Slowaçki n’avait pas encore eu, le temps de percer dans le public, que déjà les événemens. s’étaient chargés de donner à l’auteur des Psaumes une réponse bien autrement sérieuse. L’insurrection préparée de longue main par la propagande avait enfin éclaté, et elle se montra aussi impuissante contre l’ennemi que meurtrière, pour la nation. Ce fut surtout en Galicie que le désastre éclata dans toute sa grandeur et sous une forme tout à fait nouvelle. Là une bureaucratie aussi violente que perfide s’était bien gardée de prévenir l’explosion : elle avait au contraire alimenté lentement le feu souterrain et s’était donné le temps de finir l’éducation des paysans, si heureusement commencée par la propagande. Puisque les propriétaires étaient décidément, et de leur aveu même, les ennemis farouches du peuple, ne valait-il pas mieux en finir tout de suite par une justice terrible, que le gouvernement paternel serait tout prêt à seconder, en payant même chaque tête de noble d’une bonne somme de florins, et en facilitant encore la chose par une suspension des commandemens de Dieu pour quinze jours ? Que la cour de Vienne ait reconnu de la sorte les services que lui avait autrefois rendus la nation de Sobieski, c’est là une de ces immenses ingratitudes qui, pour ne plus étonner de sa part, n’ont pas moins laissé un souvenir profond. Et qui en voudra aux Polonais de voir dans les calamités qui depuis cette date néfaste de 1846 ont successivement accablé la maison de Habsbourg le juste châtiment de l’un des plus grands crimes enregistrés par l’histoire ? L’effet des massacres de Tarnow et de Rzeszow fut immense en Pologne, et le découragement tel que ne le connut