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maxime de leur gouvernement est d’entretenir toujours la guerre au dehors, et d’exercer leur jeune noblesse aux dépens de leurs voisins. Cette maxime est très politique et fort ajustée à leur propre utilité, mais très incommode pour tout le reste du monde. En effet, il est constant que le génie de la nation ne peut pas souffrir qu’il subsiste longtemps dans l’oisiveté de la paix ; il faut de l’aliment à ce feu, et, si on ne lui en donnait au dehors, il s’en formerait de lui-même des matières au dedans. De plus, comme les plus grands revenus de la couronne de France consistent dans la bourse du peuple, et que les contributions immenses ne se peuvent exiger, en temps de paix, sans faire beaucoup de mécontens, il est nécessaire de le repaître de la fumée de quelques conquêtes et d’avoir toujours des prétextes pour demeurer armé et soutenir par la force cette autorité royale qui s’est si étrangement débordée hors des limites de leurs lois fondamentales. »

La France nouvelle s’est quelquefois vantée de n’avoir plus rien de la France ancienne ; voilà pourtant un vieux portrait dans lequel on retrouve aujourd’hui un certain air de famille. Il n’est pas flatté, et, Dieu merci, il a souvent cessé d’être ressemblant. Il l’est un peu redevenu. Je sais même des gens qui voudraient la ressemblance plus complète. S’ils pouvaient du moins nous rendre, avec la politique de leur choix, Colbert et Louvois pour la pratiquer !


ii.

Louvois n’était assurément ni bien aimable, ni bien scrupuleux, ni bien modéré, et pourtant comment se défendre tout à fait de la séduction que ce merveilleux administrateur a exercée sur son nouvel historien ? Il est si rare d’assister à des affaires vraiment bien conduites ! C’est plaisir que de voir un grand gouvernement, même lorsqu’il est absolu et qu’il se trompe, savoir bien ce qu’il veut et à quelles conditions ce qu’il veut est possible, se rendre compte, avant d’agir, des moyens et des obstacles, proportionner ses préparatifs à la taille de ses desseins, aller fermement à son but en ne livrant à la fortune que ce qui ne peut lui être enlevé, attendre la victoire non du choc brutal des soldats, non du hasard d’une rencontre, mais de l’habileté de ses combinaisons, du secret de ses opérations, de la bonne organisation de ses magasins et de ses troupes, du coup d’œil de Vauban et de Turenne. « Il y a dans Louvois, dit fort bien M. Rousset, deux personnages distincts, un administrateur et un politique. Le procès peut être fait au politique ; l’administrateur est hors de cause. » Et en effet, dans cette ancienne France qui compte