Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/617

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et je ne saurais m’empêcher d’estimer et de louer le zèle et la fermeté de ceux qui rompirent la négociation d’Amsterdam, quoique leur avis, si salutaire pour leur patrie, ait porté un grand préjudice à mon service[1]. »


i.

Il y a beaucoup à apprendre sur Louis XIV dans l’Histoire de Louvois : justice y est définitivement faite des doutes que l’on a souvent cherché à élever sur sa bravoure personnelle. Sa conduite au passage du Rhin, qui a été l’objet de tant de railleries, fut ce qu’elle devait être, ce qu’elle aurait dû toujours être, celle d’un général plus préoccupé de réussir que de briller ; son attitude fut calme et ferme, et si, au lieu d’avoir été défigurée par le maladroit panégyrique de Boileau, elle avait été plutôt connue par le simple récit du jeune roi lui-même, il ne viendrait, je crois, à l’esprit de personne d’y trouver matière à ridicule. « J’étais présent au passage, dit-il, qui fut hardi, vigoureux, plein d’éclat, et glorieux pour la nation. » Loin de marchander sa vie, Louis XIV l’exposait parfois sans nécessité. En 1677, au siège de Cambrai, il se donna l’inutile plaisir de visiter longuement les travaux sous un feu assez vif pour que Louvois, qui estimait le salut de l’état fort intéressé à la conservation de sa propre personne, crût sage d’attendre à distance que le roi eût achevé de satisfaire sa périlleuse fantaisie. « Ayant eu à parler au roi, écrivait peu de jours après le prudent ministre à l’un de ses plus intimes confidens, je l’allai chercher jusqu’à la garde de la cavalerie, où j’appris que sa majesté était avec Vauban, à cheval, à la tête des travailleurs, où je ne jugeai pas à propos de l’aller trouver, et m’en revins à la barrière, où, après l’avoir attendu une heure, je le vis revenir. Je vous dis ceci en passant, afin que vous partagiez un peu l’inquiétude que me donnent de pareilles curiosités. »

Louis XIV ne craignait pas plus la fatigue que le danger. Si adonné qu’il fût au luxe et au plaisir, il ne faisait pas la guerre en sybarite. On le vit pendant la guerre de Hollande quitter sept fois les somptueuses voluptés de la cour, dans la saison des fêtes et des pluies, pour aller, à travers les boues, rejoindre ses soldats et surprendre l’ennemi, faire à cheval jusqu’à quatre-vingts lieues en cinq jours s’imposer un long et pénible voyage sans autre but que de concourir au succès d’une feinte, et supporter de la meilleure grâce les privations et les souffrances utiles à son service. M. Rous-

  1. Mémoire sur la Campagne de 1672 (inédit).