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sentiment de la vie dans l’âme nationale sous l’influence d’idées funestes. « Ah ! l’esclavage distille un venin qui décompose jusqu’à l’âme ! dit-il : ce n’est rien que la Sibérie, ce n’est rien que le knout et les tortures qui brisent le corps ; mais l’esprit de la nation, quand il est empoisonné, voilà bien la plus poignante des douleurs ! » Et le poète conjure sa patrie de repousser ces maximes perverses, ces inspirations de la démence. « Permis aux démagogues de hurler, permis aux jésuites de chuchoter qu’un but élevé et mystérieux peut justifier des moyens infâmes, que le règne de Dieu peut sortir de l’enfer, que le bonheur de tous vaut le meurtre, de quelques-uns, et que l’amour peut naître d’une œuvre de haine… Non, non ! on n’édifie rien avec de la boue, et la plus haute sagesse, c’est la vertu ! »

Ainsi continuait le patriote inspiré, invoquant les souvenirs les plus glorieux du passé pour le salut du présent, passant des éclats de la colère aux accens de la pitié, et mettant toutes les richesses de sa fantaisie au service du bon sens. Ce fut une voix dans le désert ; elle se perdit sans écho, au milieu de la prostration des gens clairvoyans et du silence dédaigneux du parti de l’action. Ainsi que cela n’arrive que trop souvent dans les temps d’effervescence générale, l’auteur ne fut point jugé, ni même discuté, il fut classé : on le rangea parmi les ennemis du progrès, parmi les adversaires du peuple, et tout fut dit alors. Il se trouva pourtant un homme pour donner la réplique au chantre des Psaumes, pour défendre l’honneur de la propagande ainsi dénoncée, pour « venger le peuple outragé, » et cet homme était, lui aussi, un poète, un ami naguère encore cher à l’auteur anonyme. Esprit ardent et chagrin, rongé par un mysticisme sombre et bien plus encore par un orgueil jaloux à l’excès, envieux jusqu’au dénigrement, joignant du reste à une imagination splendide une puissance de parole que personne n’a égalée, pas même Mickiewiçz, Jules Slowaçki entra tout à coup en lice, et apporta à la propagande, qui lui était restée jusqu’alors étrangère, l’appui de son talent superbe. Colère, raillerie, allusions déguisées et emportemens fougueux, souffrances vraies et douleurs factices, il fit usage de toutes ces armes, toujours brillantes et parfois empoisonnées, dans sa Réplique à l’auteur des Psaumes.

Résumons brièvement cette Réplique, qui est un des élémens importans de ce débat caractéristique. Slowaçki en appelait de l’auteur des Psaumes aux visions mêmes de l’Aurore, à ce cri final invoquant les « actions, » en même temps qu’il raillait cruellement les doctrines séraphiques du noble rêveur. L’arme à double tranchant reluit dès le début. « A t’en croire, mon gentilhomme, ce serait donc