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recommander à la sollicitude du gouvernement et à demander provisoirement le maintien du statu quo.

Un fait curieux à noter, et qui prouve une fois de plus la puissance attractive de la nature sur ceux qui la connaissent, c’est l’amour des agens forestiers pour leur métier. Les voyageurs prétendent que le désert exerce une fascination invincible sur ceux qui l’ont parcouru, et qu’après avoir une fois subi le charme de ces mornes solitudes, ils s’y sentent constamment attirés. Il en est de même pour les forêts. Ce sont surtout celles qu’ils ont administrées que les agens forestiers aiment à revoir, car elles leur représentent toute une période de leur existence. Aussi faut-il voir comme ils en étudient les transformations ; comme ils s’intéressent aux travaux qu’on y fait, comme ils se préoccupent de l’avenir des plantations qu’ils ont dirigées ! Cet amour se manifeste d’une manière plus caractéristique encore dans ce fait, que bien peu d’agens abandonnent leur carrière et que beaucoup d’entre eux la font même embrasser à leurs fils. Aussi l’administration des forêts est-elle remplie de gardes et d’agens qui descendent de plusieurs générations de forestiers et qui y perpétuent les mêmes noms. Il est une autre circonstance encore qui fait de cette administration une sorte de famille, c’est que les rapports entre supérieurs et inférieurs sont toujours empreints d’une grande bienveillance et même d’une certaine camaraderie, bien éloignées de cette raideur qu’on remarque si souvent dans les autres services publics, comme si la subordination ne pouvait se concilier avec une estime et une sympathie réciproques.

On a plusieurs fois, par mesure d’économie, cherché à restreindre le personnel de l’administration des forêts, et en 1848 notamment le nombre des inspecteurs a été réduit de cent soixante-dix à cent huit, et celui des conservateurs de trente-deux à vingt et un. Cette mesure, qui eut pour conséquence la suspension, sans indemnité, de soixante-treize agens, fut très préjudiciable au trésor, et, pour une petite économie de 300,000 francs environ, occasionna une perte réelle beaucoup plus considérable, parce que les coupes ne purent être mises en vente en temps utile ; dès l’année suivante, il fallut remettre les choses à peu près sur l’ancien pied. En effet, si l’on tient compte de la diversité des opérations dont l’administration forestière doit s’occuper, on reconnaît bien vite que le personnel dont elle dispose n’est ni trop nombreux ni surtout trop dispendieux. En déduisant 1,800,000 francs que paient les communes pour la gestion de leurs bois[1], les frais de personnel qui restent à la charge

  1. Ces 1,800,000 francs ne représentent que les frais généraux d’administration, car les communes ont en outre à payer leurs propres gardes.