Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Christ des nations, » qu’on avait proclamé prêt à ressusciter et à porter une vie nouvelle au genre humain, il fallait maintenant le préserver du suicide ; le peuple qu’on avait glorifié comme devant enseigner au monde la grande loi de l’amour, il fallait maintenant l’empêcher de commettre le crime de Caïn !… Le poète ne recula pas devant ce devoir douloureux, et, si l’on tient compte de sa situation personnelle et de l’état général des esprits alors, ce fut de sa part un grand acte de courage civique ; il y déploya tout ce que son cœur possédait de feu, d’éloquence, de larmes et de raison. Les deux premiers hymnes se tenaient encore dans les sphères de l’avenir, et représentaient à la nation l’idéal qu’elle avait mission de réaliser ; mais dès le troisième psaume le poète abordait la question brûlante du moment, prenait corps à corps la propagande néfaste et prononçait hardiment ce mot du « massacre de la noblesse, » qui était dans la logique de la nouvelle doctrine aussi bien que dans celle des événemens. à ces conventionnels de convention, qui invoquaient toujours les « actes vigoureux » de la terreur, il criait que ce n’était pas une action qu’un massacre puéril, et qu’on ne se régénérait pas par la destruction, qu’il n’y avait qu’une seule loi vraie de salut public pour la nation : « la noblesse polonaise avec le peuple de la Pologne. » Après avoir ainsi rappelé les éternels principes de justice et d’humanité, le poète prend la défense de cette noblesse polonaise si décriée par le radicalisme aveugle. N’est-ce pas elle « dont la poitrine fleurit toujours en cicatrices ? » N’est-ce pas elle qui s’est de tout temps offerte en holocauste sur l’autel de la patrie ? Qui donc a toujours combattu et toujours souffert ? Qui, dans la grande diète de 1791, a ouvert au peuple les portes dorées de l’avenir ? N’est-ce pas cette race maudite de la noblesse, race qui n’a jamais connu de trêve avec l’oppresseur, qui fut moissonnée sur tout champ de bataille, et qui a peuplé la Sibérie ?…


« Partout, partout sur ce globe, je vois les traces de mes frères, et vous ne les effacerez pas par vos paroles ! Ce sont eux qu’a persécutés le monde, ce sont eux qu’a torturés le bourreau, ce sont eux qui errent dans les neiges polaires, qui encombrent les cachots de la citadelle !

« Sur les hauteurs arides des Alpes, sur les azurs ondoyans de la Méditerranée, sur les Apennins de l’Italie, sur les sommets des sierras d’Espagne, sur les plaines vastes de la Germanie, sur les glaces des pays moscovites, sur les champs de la France amie, sur toute terre, sur tout flot, ils ont répandu la semence de la patrie future, semence divine, sang des martyrs, et vous êtes les fils de ces douleurs ! »


Ce n’est rien que la persécution pour le poète anonyme ; le mal terrible, c’est l’obscurcissement de la vérité, c’est l’altération du