Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/585

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dangers suspendus sur leur tête, et qui allaient éclater avant qu’une quinzaine fût achevée[1], les chefs du parlement avaient pris leur parti. Les dés étaient jetés, la grande remontrance avait paru. À Dieu et au peuple de faire le reste.

Au moment où nous les quittons (20 décembre), la position respective des deux adversaires était celle-ci : on ne devait plus espérer aucune espèce de compromis. La lutte de la prérogative et des communes allait inévitablement et prochainement aboutir à quelque choc violent. Le roi, suivant les conseils des hommes d’état qu’il avait détachés du parti de l’opposition, — les uns, comme Hyde, par l’appât des grandes charges, les autres, comme Falkland, en faisant un appel direct à des sentimens plus chevaleresques, — se préparait à terrifier les communes, non plus au moyen de vaines menaces, mais par une manifestation éclatante de sa colère et de son pouvoir. Il appelait à Londres de tous côtés ces nombreux officiers que le licenciement récent de l’armée du nord laissait sans emploi, et qui étaient supposés y venir pour demander à faire partie de celle qu’on devait expédier en Irlande. Il en remplissait les vestibules et les cours de Whitehall, où accouraient aussi chaque jour un certain nombre d’apprentis légistes (les étudians des Inns of Court), presque tous d’origine aristocratique, et dont un certain nombre croyaient « appartenir au roi » plus qu’au pays. En prévision de ce qui allait être tenté, on réchauffait le zèle déjà très passionné du lord-maire et d’une fraction notable du conseil municipal. On pratiquait les milices : les lords royalistes, les évêques même, armaient leurs serviteurs et leurs cliens ; la lieutenance de la Tour, — de cette forteresse que les citoyens de Londres appelaient leur « bride, » — enlevée à un parlementaire éprouvé, Balfour, passait (22 décembre, à un coupe-jarret perdu de dettes, Lunsford, qui ne devait hésiter devant aucune violence, devant aucune illégalité. La reine, par l’intermédiaire d’un des ministres fugitifs avec lequel elle correspondait secrètement, Windebank, faisait solliciter l’appui de la cour de France[2], et en attendant le moment d’agir, on préparait les voies en donnant pour mot d’ordre à la minorité : « Le parlement n’est pas libre. » Véritable comédie dans laquelle une douzaine d’évêques voulurent absolument jouer un rôle, et qui n’allait à rien moins qu’à invalider tous les bills passés depuis l’ouverture de cette mémorable assemblée, à compromettre toutes les garanties qu’elle avait obtenues, non du bon vouloir royal, mais de la faiblesse indécise et de la dissimulation temporisatrice du monarque !

  1. Voyez, dans la Revue du 15 avril 1861, l’Outrage du 4 janvier 1642.
  2. Lettre de Windebank à son fils, Paris, 17 décembre 1641. — Arrest of the five members, by J. Forster, p. 49.