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fut d’abord pourtant loin de le suivre dans les régions épurées de vie morale qu’il lui indiquait. Pour ses aspirations, elle en était encore aux illusions du comte Henri dans sa jeunesse, et Pancrace même se dessinait à l’horizon sans l’effrayer trop. La révolution de 1831 avait eu pour effet de jeter des milliers de Polonais dans cette France alors profondément remuée par des passions républicaines. L’émigration s’était abreuvée largement à cette source bouillante et trouble, et une propagande démocratique, qui a eu ses héros, qui a eu même ses martyrs, mais surtout ses adeptes aveugles, imbus de toutes les doctrines de la terreur, avait conquis bientôt une influence immense sur le pays. Que ce mouvement eût des mobiles généreux, un désir impatient de délivrer la patrie, un intérêt vif, quoique peu éclairé, pour la cause des paysans, certes nous sommes loin de vouloir le nier ; mais il est également hors de doute que la déclamation creuse et surtout la manie enfantine de singer le radicalisme de l’Occident y eurent la plus grande part. C’est ainsi par exemple que les démocrates polonais imitèrent leurs frères de France dans leur haine contre le catholicisme, et sapèrent les idées religieuses de la nation au moment même où l’empereur Nicolas, bien plus avisé que ces patriotes exaltés, renouvelait contre l’église polonaise les plus rigoureuses persécutions. Les esprits forts, les coryphées de la propagande ne se firent pas même faute d’afficher les doctrines les plus matérialistes et de proclamer une incrédulité cynique. « Ils voulaient la résurrection d’un peuple, devait dire plus tard à ce sujet le poète anonyme, et ils ne croyaient même pas à l’immortalité de l’âme ! » Mais ce fut surtout en prêchant la haine contre la noblesse, signalée comme « la classe corrompue et pourrie, ennemie du peuple et obstacle éternel à tout progrès, » que la démocratie polonaise montra à quel point l’esprit d’imitation avait étouffé en elle, non-seulement tout sens d’équité, mais jusqu’à la notion de la plus évidente des réalités, car s’il y a quelque chose d’évident au monde, c’est que la noblesse polonaise ne ressemble en rien à celle de tout autre pays d’Occident. Elle en diffère déjà par le nombre : elle n’est point une classe, mais toute une population. Dans le passé, elle a été le seul élément en qui ait pu se développer dans toute sa plénitude la conscience de la nationalité : dans le présent, c’est encore elle, c’est-à-dire la classe des propriétaires, qui porte principalement dans son sein la tradition historique aussi bien que le vif sentiment de l’avenir. Elle constitué la force morale et intelligente du pays, elle est tout simplement son tiers-état (la Pologne n’en a pas encore d’autre), et au lieu d’être opposée aux principes modernes, elle ne penche que trop vers les idées extrêmes. Prêcher la destruction de cette noblesse, c’était tout simplement, comme l’a dit avec