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mesures du roi ne sont pas moins bien liées. Il y a là des ambitieux (Hyde par exemple) qui, après s’être défaits de Strafford, peuvent être tentés de lui succéder. Charles les mande, les caresse, leur ouvre la perspective des hauts emplois. Ceux-là, les habiles, doivent en amener d’autres plus désintéressés, plus naïfs. Hyde entraînera le généreux Falkland. Aux rigoristes, aux puritains, on réserve un autre piège. On leur livrera, s’il le faut, pour quelques jours, un pouvoir qui doit les perdre. Nous ne supposons rien : cette combinaison fut essayée. Les correspondances du sous-secrétaire d’état Nicholas établissent que deux mois après la mort de Strafford les chefs de l’opposition parlementaire furent invités à former un cabinet[1]. Et tout en les appelant ainsi à ses conseils, avec l’espoir fondé de les dépopulariser par là même, sait-on de quoi s’occupait Charles Ier ? De réunir les preuves nécessaires pour leur intenter un procès de haute trahison. C’était là un des motifs déterminans du voyage qu’il allait faire en Écosse[2].

Il n’est pas probable que les chefs du parti parlementaire connussent dans tous ses détails cette trame si compliquée. Ils n’assistaient pas aux premières conférences de Hyde (Clarendon) avec le roi, conférences que le brillant historien a racontées avec un abandon peu favorable à sa mémoire ; ils n’ouvraient pas les lettres confidentielles du sous-secrétaire Nicholas, que Charles était supplié « de brûler après les avoir lues, » et qui n’en sont pas moins arrivées jusqu’à nous ; mais ils avaient le sentiment très net d’un danger prochain ; ils s’étaient procuré des renseignemens assez précis sur le « complot de l’armée. » Ils se méfiaient du voyage d’Écosse, qu’ils tentèrent d’empêcher, et durant lequel ils firent accompagner le roi, sous prétexte honnête, par trois commissaires, dont Hampden était l’un. Enfin ils ne se dissimulaient pas l’effacement graduel de cette agitation populaire, leur meilleur et leur unique appui jusqu’alors. En face de la royauté vaincue un moment, mais puissante encore, et irritée autant qu’effrayée, de quelles ressources en effet pourraient-ils se servir ? Pas un soldat, pas un des revenus publics n’était à leur disposition. Ils n’avaient que la force morale attachée à leurs votes, et de nombreuses défections semblaient devoir la leur enlever bientôt. Falkland, à qui Hampden reprochait un changement complet d’opinions sur une des questions à l’ordre du jour, lui répondait par un reproche aussi injuste que sanglant : « Si j’ai changé, c’est qu’on me trompait. » Vingt autres membres de l’opposition

  1. Denzil Hollis y avait les sceaux. Hampden était chancelier du duché. La trésorerie allait à lord Say et Seale. Pym lui-même était chancelier de l’échiquier.
  2. Nous avons eu occasion de raconter les détails de cette manœuvre machiavélique et des circonstances qui la firent échouer. Voyez la Revue du 15 avril 1861.