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terre végétale sans profondeur qui avait été remuée et recouverte de fragmens de schiste. Nous pûmes suivre, retrouver et reconstruire tout le plan des travaux et ramasser des débris de forge et de projectiles. En face de nous, à portée de boulet, nous apercevions le fort à travers les branches ; un peu plus loin, d’énormes blocs de quartz portés par des collines vertes avaient été soulevés par la nature dans un désordre pittoresque ; puis, à la lisière du bois, une vallée charmante d’un aspect sauvage et mélancolique que le soleil bas couvrait d’un reflet violet ; les montagnes, la mer au loin ; autour de nous, un troupeau de chèvres d’Afrique couleur de caramel, gardées par une belle petite fille de cinq ans, qui, chose fantastique et comme fatale, ressemblait d’une manière saisissante à une médaille du premier consul.

— Impératrice romaine, m’écriai-je, que diable faites-vous ici ?

— Elle s’appelle Rosine, répondit la mère de l’enfant en sortant des bruyères.

— Et comment s’appelle l’endroit où vous êtes ?

— Roquille.

— Et la batterie ?

— Il n’y a pas de batterie.

— Personne ne vient se promener dans ce bois ?

— Personne, mais on vient là-bas chez moi pour boire de bon lait ; en souhaitez-vous ? Tenez, voilà une chèvre blonde qui me rapporte un franc par jour. Croyez-vous que c’est là une chèvre !

Le jour tombait, nous nous fîmes montrer un sentier pour gagner La Seyne à vol d’oiseau. J’y pris congé à la hâte de mon aimable compagnon de promenade. Il rentrait à son bord, c’est-à-dire dans sa maison de citadin, et j’avais à me presser pour ne pas manquer le dernier départ du petit steamer-omnibus qui, à chaque heure du jour, transporte en vingt minutes à Toulon la nombreuse et active population ouvrière et bourgeoise occupée ou intéressée aux travaux des ateliers de construction maritime.

À peine eus-je retrouvé La Florade, qui m’attendait sur le port avec une anxiété à laquelle je ne donnai pas en ce moment l’attention voulue, que je lui parlai de ma découverte et de l’abandon où j’avais trouvé la batterie des hommes sans peur ; mais il était distrait, il ne m’écoutait pas. — Avez-vous enfin vu votre propriété ? me dit-il.

— Non, je n’ai pas eu le temps.

— Ah ! vous n’avez pris alors aucun renseignement sur la valeur de votre lot ?

— Si fait ! Est-ce que cela vous intéresse ?

— À cause de vous… oui ! Combien ça vaut-il ?