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pas été bien heureuse. Elle paraît avoir une certaine aisance : elle a quatre domestiques, une bonne table, point de luxe ; mais elle ne marchande rien. Je n’ai pas pu savoir la profession de son mari, ni si elle a des parens. Je n’ai pas cru devoir faire de questions indiscrètes. C’est une femme absolument libre, à ce qu’on peut croire, et ne songeant à rien au monde qu’à son enfant. Ils descendent quelquefois à ma baraque. Je les promène sur le golfe dans mon passe-partout. On me confie même le moutard pour le mener à la pêche. Enfin c’est une très bonne personne, et son voisinage m’est agréable.

— Vous la voyez tous les jours ?

— Je passe tous les jours à travers la propriété. Je n’ai pas d’autre sentier pour regagner La Seyne, à moins de faire un grand détour, et dans ce pays-ci, où il n’y a ni murs d’enceinte, ni barrières, ni portes, on a droit de passage les uns chez les autres. Cela donne pourtant lieu à de grandes disputes quand on a des voisins fâcheux ; mais ici ce n’est pas le cas. Toutes les fois que je passe, même bien discrètement, et le plus loin possible de la maison, la mère, l’enfant ou les domestiques courent après moi pour me faire politesse ou amitié. Mais allons voir votre héritage ; c’est sur le chemin de La Seyne, à un petit quart d’heure de marche.

— Vous savez que je ne veux pas troubler cette pauvre cohéritière que je ne connais pas, et qui peut bien avoir hérité des préventions de son père contre le mien, car, je vous l’ai dit, nous étions fort brouillés.

— Bah ! bah ! elle verra bien que vous n’êtes pas un diable. Je la connais fort peu, mais assez pour qu’elle ne me jette pas à la porte. Elle ne passe pas pour une mauvaise créature d’ailleurs ; c’est une grosse endormie, voilà tout.

Et comme j’allais questionner M. Pasquali sur cette personne dont j’ignorais l’âge, le nom et les mœurs, il détourna ma pensée vers un sujet sur lequel deux ou trois fois déjà il m’avait entamé.

— Parbleu, dit-il, il serait probablement bien facile de vous entendre avec elle. Si vous vouliez sa part, elle vous la céderait et s’en irait vivre dans son vrai pays. Pourquoi diable, ayant ici un coin de terre, n’y installez-vous pas vos vieux parens ? Ils y vivraient peut-être plus longtemps que dans votre froide Auvergne : vous y viendriez les voir quelquefois, et je vous aurais pour assez proche voisin, ce qui ferait bien mes affaires, vu que vous me plaisez beaucoup.

Comme je discutais l’excellence de son climat, sur lequel il se faisait au reste peu d’illusions, nous passâmes au pied du fort Napoléon, l’ancien fort Caire, dont la prise assura celle de Toulon et fut le premier exploit militaire et stratégique du jeune Bonaparte