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saire pour produire une crise de pouvoir. Le ministère a eu pourtant à essuyer le feu de toute une légion d’orateurs éminens, de M. Rios-Rosas au nom des dissidens de l’union libérale, de M. Olozaga au nom des progressistes, de M. Gonzalez Bravo au nom des modérés, de M. Rivero au nom du parti démocratique, et l’opposition a réuni plus de quatre-vingts voix. En définitive, le ministère n’a pas moins trouvé, selon l’usage, la majorité dévouée dans le congrès comme dans le sénat, majorité aussi étrange d’ailleurs dans sa composition que la minorité, car ceux qui sont allés la grossir au scrutin ont soutenu le cabinet du général O’Donnell moins par un goût décidé pour sa politique que par crainte de l’inconnu. Ce que le ministère doit craindre surtout, c’est sa propre faiblesse et la vie de tous les jours. Le malheur du ministère en présence de cette majorité incohérente, c’est de n’avoir point vraiment de politique qui lui soit propre, d’afficher le libéralisme et d’être en réalité peu libéral, de se laisser aller au hasard des incidens, et d’en venir, après trois ans de durée, à n’avoir plus qu’un caractère indéfini.

Sans doute le cabinet O’Donnell s’abrite toujours sous ce nom de l’union libérale dont il se couvrait à sa naissance, mais il est insensiblement enlacé par des influences inavouées, mystérieuses, que deux orateurs des nuances les plus diverses, M. Rios-Rosas et M. Olozaga, se sont trouvés d’accord pour signaler. Il y a trente ans que le parti absolutiste travaille à reconquérir l’ascendant qu’il a perdu par l’avènement même de la reine Isabelle. Il a toujours été battu dans la guerre civile, dans les insurrections incessantes qu’il a fomentées, et, malgré ses défaites, il n’est pas moins arrivé à se glisser partout, remplissant les avenues du pouvoir, s’agitant autour de la reine elle-même, et se faisant dans les régions les plus intimes une position telle qu’il faut compter avec lui. Si le ministère actuel est tenté quelquefois de lutter contre ces influences, il les subit plus souvent encore. De là ces tendances d’absolutisme et d’arbitraire qui se font jour à tout propos. Chose curieuse, il se produit aujourd’hui au-delà des Pyrénées, sous une administration qui arrivait au pouvoir avec tout un programme de libéralisme, une sorte de réaction d’intolérance religieuse. Les refus de sépulture se multiplient depuis quelque temps au point de devenir une cause de trouble dans quelques localités. Des livres importés de l’étranger en Espagne, ayant acquitté les droits de douane, mais déclarés peu orthodoxes par les évêques, sont brûlés publiquement en présence de l’autorité religieuse, et on ne se borne pas à ces auto-da-fé, renouvelés de l’inquisition, on va jusqu’aux visites domiciliaires dans les magasins de librairie, dans les bibliothèques. Et que répond le gouvernement au récit de ces faits ? Il est visiblement embarrassé, n’essaie pas de réprimer ces excès de zèle, et se réfugie derrière l’inviolabilité du sentiment religieux, qui est à coup sûr très puissant en Espagne, mais qui n’explique pas ces caprices renaissans d’intolérance où le pouvoir civil lui-même apparaît comme un complice livrant ses propres droits.