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rôle honorable dans cette transaction. La dépêche de M. Thouvenel à notre ministre à Washington, dépêche écrite au début de l’affaire, c’est-à-dire au moment même où l’action de la France pouvait s’exercer avec le plus de profit pour les deux parties, a concilié dans une exacte mesure et ce que nous nous devions à nous-mêmes pour la défense des vrais principes du droit maritime, et ce que nous devions à l’alliance anglaise, et ce que nous devions à la vieille amitié des États-Unis. Nous ne serions point surpris que la démarche opportune de notre diplomatie n’eût provoqué les remercîmens à la fois du comte Russell et de M. Seward. L’utilité pour l’Angleterre du concours que nous lui avons donné est manifeste. Nour n’avons pas rendu au gouvernement des États-Unis un moindre service. M. Thouvenel, dans sa dépêche, rappelait à ce gouvernement qu’en matière de droit des neutres les États-Unis sont liés aux mêmes maximes que la France. Cette indication est venue corroborer l’appel très digne que M. Seward a fait aux traditions constantes de son gouvernement pour répudier l’acte du capitaine Wilkes. L’expression nette de l’opinion de la France sur l’affaire du Trent apporte un secours positif à M. Seward contre les susceptibilités patriotiques qui auraient pu s’effaroucher, dans le congrès et dans le public, des concessions de fait obtenues par l’Angleterre ; mais, quant à la France, elle peut se féliciter de la conclusion du différend anglo-américain surtout au point de vue de notre politique intérieure. La menace d’une guerre entre l’Amérique et l’Angleterre était une diversion trop forte pour les nerfs politiques de la France : elle détournait notre attention de nos propres affaires, et notamment de cet ordre de questions, à la fois financières et politiques, que les actes du 14 novembre avaient si vivement ouvertes, mais qui étaient rentrées dans l’ombre tant que le problème de la paix ou de la guerre maritime demeurait irrésolu.

Les questions posées par la rentrée de M. Fould au pouvoir sont, disons-nous, politiques aussi bien que financières. L’attitude prise récemment par M. le ministre de l’intérieur rend très délicate, pour ne pas dire périlleuse, la discussion dans la presse du côté politique du nouvel ordre de choses. Aussi comprendra-t-on que nous hésitions d’autant plus à nous y aventurer que les difficultés auxquelles nous courrions risque de nous heurter ne nous sont que vaguement annoncées, et ressemblent à ces écueils qui ne sont marqués sur aucune carte. Seuls les pilotes du ministère de l’intérieur les connaissent, mais malheureusement ce n’est que par des avertissemens qu’ils nous communiquent leur science. Vainement aujourd’hui même un journal officieux, sirène de ces parages, nous invite-t-il à un débat perfide en nous démontrant que c’est à bon droit que nous avons été nous-mêmes frappés d’un avertissement ; vainement nous fait-il l’honneur de soutenir « qu’un gouvernement dont le chef se laisserait citer à la barre d’une Revue ne mériterait pas le nom de gouvernement ; » vainement fait-il à M. Fould la politesse de ne pas vouloir que cet homme d’état « soit devenu ministre des finances pour avoir émis dans une lettre à l’empereur les mêmes idées