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époque scientifique, positive, industrielle, comme M. Scribe fut le Sardou d’une époque bourgeoise et romanesque à la fois, libérale et conservatrice, fertile en types curieux et en contrastes sociaux de tout genre. Ajoutez quelques très légers atomes du génie de Beaumarchais à cette substance fondamentale, et voilà AL Sardou tout entier.

La pièce est supérieure aux précédentes productions de l’auteur, je le reconnais ; cependant cette supériorité n’est pas si marquée qu’on a bien voulu le dire. Les Pattes de Mouche et les Femmes fortes sont, à tout prendre, mieux composées et se tiennent mieux sur leurs pieds. Les fables de ces deux pièces sont plus originales, et comme elles ont moins de prétentions à la grande comédie que leur cadette, les tours de prestidigitation et de physique amusante, dont l’auteur abuse volontiers, y paraissent mieux à leur place que dans Nos Intimes. Les deux premiers actes rappellent un peu trop la pièce des Faux Bonshommes et Tholozan le médecin n’est qu’une transformation du personnage créé par M. Barrière sous le nom de Desgenais, le raisonneur qui se charge de confondre le vice et de venger la vertu. Où donc alors est la supériorité de la pièce nouvelle sur les œuvres précédentes de l’auteur, puisqu’elle ne consiste ni dans la composition, ni dans l’action, ni même dans la donnée fondamentale ? Je réponds : dans certaines parties du dialogue qui se rapprochent vraiment du ton de la comédie, et surtout dans les personnages épisodiques.

Ces personnages épisodiques sont les intimes de M. Caussade, honnête et riche bourgeois, d’un cœur si large qu’il y porterait tous ses concitoyens et y trouverait encore de la place pour quelques étrangers. Ils s’abattent comme des sauterelles d’Égypte sur la maison de campagne du bon Caussade, qui les reçoit à bras ouverts. Voici M. Vigneux, employé subalterne, envieux et médisant ; voici Mârécat, riche commerçant retiré, égoïste et brutal, qui vient s’installer chez son ami pour lui faire plaisir et par pure complaisance, et le zéphyr Abdallah, dont M. Caussade ne peut parvenir à se rappeler même le nom. Tous ces intimes, qu’il ne connaît pas toujours, harcèlent le malheureux bonhomme, l’insultent et l’humilient à l’envi, mettent sa vie en péril, et finissent par menacer son honneur et son bonheur. Toute cette peinture est très vive, très vraie, nullement exagérée, et ne mérite point les critiques assez superficielles qu’on lui adresse. Le caractère de Caussade est peu commun, j’en conviens, mais il existe, et toutes les natures faciles ont été ce personnage au moins quelques jours dans leur vie. Je n’ai qu’une très légère objection à faire à M. Sardou. Le caractère de Caussade, tel qu’il l’a présenté et développé, ne peut bien se comprendre