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la belle liberté antique et celui de la dure domination. Les négociations sont rompues, et la lutte recommence ; mais l’issue n’est plus douteuse. Héliogabale a été tué, Elsinoé s’est donné la mort ; Rome reste debout, et Alexandre Severus est proclamé empereur. Le triomphe de Severus, cet homme qui, dans les vertus antiques comme dans les vertus chrétiennes, ne dépasse pas le niveau moyen, est une des profondes leçons que contient le drame, et c’est à dessein que le poète a donné au fils de Mammée un caractère effacé. Dans une lutte grandiose de deux principes titaniques, la victoire ne reste trop souvent qu’à la médiocrité. Heureux encore si cette médiocrité est honnête, et Alexandre Severus l’est en réalité.

Pour Iridion, le moment arrive où, épuisé de forces, délaissé même des plus fidèles, rassasié d’amertume, il monte sur le bûcher pour finir ses jours. À ce moment apparaît Masinissa, qui s’était éclipsé depuis la défection des chrétiens. Il le prend dans ses bras, l’enlève et le dépose sur une montagne près de la mer. De là encore le héros peut voir Rome entière immobile, « montrant ses marbres au soleil comme les dents blanches du tigre. » Alors le premier doute vient au fils d’Amphiloque sur la légitimité de son œuvre ; alors il se demande pour la première fois si le Dieu de Cornelia n’était point le plus grand de tous, si les Nazaréens ne possédaient pas l’unique vérité du monde ?… « Les Nazaréens ? lui répond en ricanant Masinissa, oui, tu leur dois bien des obligations pour le passé comme pour les temps futurs !… Ta mère Grimhilde n’a point menti, ses prédictions s’accompliront : les peuples du Nord sillonneront encore cette Italie en la couvrant de sang et de cendres ; mais sais-tu alors qui leur arrachera la ville maudite des mains de tes frères ? sais-tu qui saisira au vol la pourpre tombante des césars ? C’est le Nazaréen ! En lui sera la perfidie du sénat, en lui vivra la cruauté du peuple tyran, comme un éternel héritage ; son cœur sera inflexible comme celui du premier Caton : seulement il aura quelquefois la parole douce et efféminée. Et les guerriers du Nord tomberont en enfance à ses pieds, et pour la seconde fois il déifiera Rome devant toutes les nations de la terre ! — Comment ! s’écrie le Grec avec un accent déchirant, après Rome il y aura encore une Rome ? La ville maudite sera donc éternelle ? » Et c’est cette annonce que le confident d’Amphiloque a réservée au fils de Grimhilde pour l’heure de sa mort !… — Ne désespère point, lui dit Masinissa, un jour viendra où l’ombre de la croix posera sur les nations comme une chaleur torride, où lui aussi il étendra en vain les bras pour serrer contre son sein ceux qui l’abandonneront. Les uns après les autres ils se lèveront et diront : Nous ne voulons plus te servir. Alors on entendra à toutes les portes de cette ville des gémissemens et des plaintes, et le génie